C'est l'été dans un petit village du sud-est espagnol. Une tempête menace de faire déborder à nouveau la rivière qui le traverse. Une ancienne croyance populaire assure que certaines femmes sont prédestinées à disparaître à chaque nouvelle inondation, car elles ont « l'eau en elles ». Une bande de jeunes essaie de survivre à la lassitude de l’été, ils fument, dansent, se désirent. Dans cette atmosphère électrique, Ana et José vivent une histoire d'amour, jusqu'à ce que la tempête éclate…
Avec El Agua, la cinéaste Elena LÓPEZ RIERA, embarque le spectateur au cœur d’un village au sud-est de l’Espagne, et le fait plonger au cœur d’un contre dramatique et amoureux, frôlant subtilement avec le fantastique. Un premier film envoutant et terriblement intriguant.
La cinéaste arrive à lier plusieurs fragments et thématiques pour former un récit unique. Entre légendes urbaines, inondations, histoire d’amour et malédiction, nous suivons l’histoire d’Ana (Luna PAMIES) et José (Alberto OLMO). L’un cache un secret sous couvert de mensonge, quant à l’autre, mystérieuse, qui fait face à sa propre peur, celle que l’eau s’infiltre en elle.
El Agua est un conte réaliste. Il met en avant l’ennui des jeunes dans un espace rural, et enfermé de part en part dans une routine d’été, sans sortie possible. Le tout en concordance avec une légende sur les inondations, causant de tragiques disparitions de femmes, et provoquant une peur ancestrale de l’eau à ces habitants. El Agua, c’est une mise en avant d’un quotidien calmement lourd et bourré de tensions.
Malédiction d’amour et légende urbaine
Ana, jeune fille de 17 ans à la beauté ravageuse, vit sa première histoire d’amour avec le jeune José. Mais comme le veut la légende, si elle s’éprend pour quelqu’un, l’eau viendra la chercher. Des craintes que la jeune fille ne cache nullement à sa grand-mère, avec qui elle partage une complicité plus élevée qu’avec sa mère. En effet, le protagoniste principal partage une relation à couteaux tirés avec sa mère, notamment en ce qui concerne les relations avec les hommes. Ana est ici enfermée physiquement et psychologiquement dans des rumeurs autour des femmes de sa famille : “aucune femme bien ne sort de cette famille”. Une rumeur (ou malédiction), qui s’accentue petit à petit au fil du récit, jusqu’à en devenir aussi problématique que la malédiction de l’eau. Une situation qui va rendre compliquée la relation entre Ana et José, lui aussi en quête d’une échappatoire.
José, du’un tempérament assez discret, partage une relation mutuellement protectrice avec son paternel. Travaillant dans l’exploitation agricole de son père, José partage ici son quotidien entre le travail, Ana et les courses d’oiseaux. Cependant, sa relation avec la jeune Ana n’est ni au goût de son père, ni de celui de ses collègues, qui voient en la jeune fille, une aura de tentatrice dévergondée. Un cliché dont la famille est étiquetée. Sans jamais évoquer la moindre justification, il justifie cependant une tension lourde ancrée au cœur du récit.
Entre la fiction et le reportage
Malgré la puissance de la légende, El Agua reste neutre dans sa narration avec un réalisme sans aucun artefact. Réalisation neutre, paysages éboulis par des paysages étouffants d’usines et de zones commerciales délabrées, d’une rivière polluée et de berges sales. Pourtant, un charme s’en dégage.
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Le rythme du film est brillamment scindé en deux. Les journées sont d’un calme et d’un contemplatif olympien, tandis que les nuits sont en mouvement constant, accompagné d’une musique techno où seule la musique est maîtresse. Cependant, le long-métrage de Riera reste majoritairement calme, contemplatif, avec des plans à peine étalonnés. El Agua nous offre tout de même de séquences puissantes et marquantes qui chantent bien après le visionnage.
Ingénieuse, la cinéaste n’enferme pas son film dans une catégorie distincte. Brouillant ainsi les pistes de toute trace de magie et d’enchantement, El Agua navigue entre fiction, images d’archives et témoignages. En effet, Riera se sert de témoignages face caméra où des femmes se remémorent non sans émotions des souvenirs d’inondations et de femmes disparues se donnant à l’eau. Vers la fin du film, la cinéaste insère des images d’archives d’inondations (survenues peu avant le tournage). Permettant ainsi de solidifier le mythe de la légende tout en restant dans le côté réaliste dont s’attache la réalisatrice.
Malgré son rythme qui pourrait paraître un peu trop lent, El Agua est un film puissant. Véritable fer de lance d’une nouvelle cinéaste, ce long-métrage arrive à mettre en opposition la beauté du mythe et le charme dénaturé d’un village délabré et de jeunes perdus en quête d’échappatoire à leur quotidien. Jouant entre la fiction, les images d’archives et les témoignages, Elena López Riera offre un film puissant où les séquences fortes nous hantent bien après le visionnage.
TITRE ORIGINAL : El Agua
GENRE : Drame, Romance
TECHNIQUE : Prise de vues réelles
DURÉE : 1h44
PAYS : Espagne, Suisse, France
DATE DE SORTIE FR : 1er mars 2023
RÉALISATION : Elena López Riera
AVEC : Luna Pamies, Bárbara Lennie, Nieve de Medina
PRODUCTION : Alina Film, SUICAfilms, Les films du Worso
DISTRIBUTEUR FR : Les Films du Losange