Retour à Séoul : Rencontre avec Davy Chou et Ji-Min Park

À l’occasion de la sortie du film Retour à Séoul de Davy CHOU, nous avons eu l’occasion de poser quelques questions au réalisateur, ainsi qu’à Ji-Min PARK, l’interprète de Freddie, l’héroïne de l’histoire. Un conte finlandais troublant comme neige qu’on vous recommande chaudement de découvrir !

Comme toujours, cette interview est également disponible en version vidéo sur notre chaîne YouTube, Studio JM Production.

À travers Retour à Séoul, vous évoquez un sujet particulièrement délicat qu’est l’adoption. Quelle à été la source d’inspiration qui vous a donné envie d’explorer cette thématique ?

Davy CHOU : C’est venu par une amie proche. En 2011, je suis allée en Corée du Sud pour la première fois, pour y présenter mon premier film en festival. Sachant que j’y allais, elle y a déjà vécu pendant 2 ans. Tout comme Freddie [ndlr. L’héroïne du film Retour à Séoul], elle est née en Corée, adoptée par des parents français où elle a vécu dès l’âge de 1 an. Elle n’est jamais retournée en Corée depuis, jusqu’à ce qu’elle y retourne deux ans avant mon arrivée.

Elle a souhaité m’accompagner, et alors qu’elle ne voulait pas le voir, on a rencontré son père biologique (pour la 3e fois pour elle à ce moment-là). Personnellement je ne m’attendais pas du tout à cette situation. Me retrouver au bout d’une heure de bus dans un restaurant et la voir nez-à-nez face à son père biologique et sa grand-mère, le tout dans l’impossibilité de communiquer ensemble. J’ai néanmoins ressenti beaucoup d’émotions et de regrets de leur part et de colère de la part de mon amie. Ça m’a marqué durablement, et c’est ça qui a donné naissance au film.

Retour à Séoul, un film de Davy Chou.
Retour à Séoul, un film de Davy Chou.
À la base, vous êtes plasticienne. Avec ce film, vous vous retrouvez pour la première fois à jouer la comédie. Quel était le challenge d’interpréter un personnage aussi intense que Freddie ?

Ji-Min PARK : Je ne me suis pas vraiment posé la question sur le challenge, et je pense que c’était justement une sorte de protection, voire mon process pour pouvoir jouer la comédie. Je ne suis pas Freddie et elle n’est pas moi, non plus. Mais elle ressent des émotions fortes et intenses comme la colère ou la tristesse, le tout avec une certaine profondeur. Sachant que c’est des émotions que je ressens également, c’est ce qui m’a aidé à l’interpréter.

Vous avez travaillé conjointement sur le scénario du film, notamment sur le personnage de Freddie. Comment s’est passée cette collaboration ?

Davy CHOU : Ji-Min est arrivée au bout d’un moment. On s’est rencontré au moment du casting, soit trois ans après l’écriture du scénario, basé sur l’histoire de mon amie et de quelques recherches que j’ai effectuées. Au moment où on s’est rencontré, j’ai fait jouer à Ji-Min quelques scènes puisqu’elle avait lu entièrement le scénario. Avant même de faire le premier casting test, nous nous sommes rencontrés, et je lui ai passé le scénario à ce moment-là et donc elle était venue faire une scène. Au bout de quelques semaines, je lui ai confié le rôle. Après quelques mois, on s’est retrouvé avant le tournage. Dans ma tête, j’avais uniquement prévu de faire les répétitions. Comme j’ai l’habitude de faire avec les acteurs non-professionnels, c’est de passer vraiment du temps à nous connaître mutuellement, pour vraiment leur permettre de connaître leur personnage et de prendre quelques libertés.

Au final… ça ne s’est pas du tout passé comme ça (rires). Avant même la première répétition, Ji-Min m’a envoyé des textos pour me dire qu’elle avait lu le scénario et qu’elle aimerait qu’on discute (rires). On s’est posé autour d’une table, elle a ouvert le scénario et on l’a descendu scène après scène. A chacune d’entre elles, Ji-Min me demandait de me justifier sur “pourquoi le personnage fait ça ?” ou encore “quelle était l’idée derrière ?”. Autant parfois, j’arrivais à me justifier, et pour le reste, ce n’était pas si simple d’y répondre. Et en fait, j’ai compris qu’elle questionnait beaucoup d’aspect du scénario. Ça a duré pendant plusieurs semaines, durant lesquelles ça n’a pas toujours été facile, ça a même un peu fighter… Mais ce travaille, a fini par produire des changements considérables sur le scénario, sur les actions ou encore sur les relations entre les personnages.

Retour à Séoul, un film de Davy Chou.
Retour à Séoul, un film de Davy Chou.

J’en discute avec pas mal d’amis dans le secteur qui me disent que ça arrive tout le temps que les acteurs ont des choses à dire dans un film. Et c’est vrai, sachant que je travaille aussi avec des acteurs non-professionnels, il faut à chaque fois qu’ils puissent se réapproprier le personnage, pour vraiment se sentir à l’aide de le jouer. Je pense aussi aux acteurs coréens comme le père de Freddie qui avaient aussi des choses à dire très pertinentes. Mais à mon avis, je pense que notre manière de faire était plus borderline par rapport à ce que les gens entendent dans “collaborer avec les acteurs” pour le scénario. Car nous avons vraiment passé des semaines ensemble à discuter et à retravailler les choses.

En tant que réalisateur, quel a été l’impact de cette collaboration sur le scénario initial ?

Davy CHOU : Pour moi, je pense que cette collaboration était forte. Ce que le spectateur perçoit du personnage de Freddie dont Ji-Min est l’incarnation, c’est vraiment le produit de ce travail. Ce qui a changé, ce que soit même jusqu’aux petits détails qui pourraient paraître insignifiants pour les gens, ça crée quelque chose de vivant, qui déborde de l’imagination d’un auteur tout seul face à son personnage. Et en tant que spectateur, c’est ce que j’aime recevoir d’un film. De ne pas juste voir un personnage sortir de l’écran, mais que la complexité d’un personnage m’échappe. Et clairement Ji-Min a vraiment apporté ça au personnage de Freddie.

Vous avez transmise énormément de votre expérience de femme racisée à travers le personnage de Freddie. Quel à été pour vous le point le plus important à transmettre (rapport aux hommes, aux origines, à la féminité…) ?

Ji-Min PARK : Je ne sais pas s’il y a un point fort que j’aurais voulu transmettre. D’autant qu’il faut avoir conscience qu’il s’agit du film de Davy basé sur un scénario qu’il a lui-même écrit. Je ne pouvais pas arriver en lui disant “bon mec, tu vas tout changer”, ce n’est pas possible. Je ne suis pas une actrice professionnelle, et je n’avais pas non plus le désir de jouer dans un film. Donc c’est compliqué d’incarner la vision d’un personnage écrit par quelqu’un d’autre.

Retour à Séoul, un film de Davy Chou.
Retour à Séoul, un film de Davy Chou.

Mais l’un des points que j’aurais voulu transmettre à travers ce personnage écrit par quelqu’un d’autre, notamment par un homme, c’est cette image de la féminité d’un personnage asiatique. Une image qu’on ne voit presque jamais dans les films français et européens. Il y a aussi ce sentiment de me demander ce que je fais là. Même si je suis coréenne, je ne suis pas adoptée, etc. Donc je me demande pourquoi je joue dans ce film qui parle d’adoption. Mais l’idée à laquelle je me suis rapproché, c’est celle de la femme asiatique qu’on ne voit jamais, tant nous sommes invisibilisé habituellement. C’était pour moi l’une de mes motivations.

Le tournage du film s’est déroulé en pleine période de Covid. La pandémie a-t-elle rendu le tournage plus difficile ?

Davy CHOU : Oui, complètement. Nous avons tourné en plein Covid, en octobre et novembre 2021. Il se trouve qu’en Corée du Sud, il était obligatoire de porter le masque absolument partout, y compris à l’extérieur. Bien sûr, nous ne sommes pas un gros blockbuster, nous avions un petit budget, donc ce n’était pas possible de bloquer des rues entières et avoir des centaines de figurants sans masque. Donc je me suis posé la question avec mon équipe pour savoir comment on allait tourner. Pour les scènes en intérieur, pas de problème, mais dès qu’on met la caméra en extérieur, c’est impossible de maîtriser toutes les personnes qui sont derrière et qui ont des masques. Il n’y a pas beaucoup de scènes en extérieur dans le film, mais il y en a quand-même nécessairement, quand Freddie déambule dans les rues de Séoul dans les trois parties du film, par exemple.


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Et comme le film se déroule sur huit ans : la première partie du film se déroule en 2013, le seconde en 2015 et la troisième en 2020. Donc pas de Covid dans les deux premières parties. Il nous a fallu inventer des idées de mise en scènes et de figuration. Où avec juste quinze figurants sans masque, ils vont bloquer les gens avec des masques dans la rue pour qu’on ne les voit pas lorsqu’on filme. Après on a raté des plans, car y avait des gens masqués dans le champ.

Puis dans la troisième partie après cinq ans, elle revient en Corée du Sud avec son petit ami français (joué par Yoann ZIMMER) on a assumé que c’était la période Covid. Du coup nous voyons les gens masqués, ce qui a rendu les choses plus simples. Par exemple il y a une vraie scène prise sur une place très connue à Séoul où pour le coup c’est des vraies personnes qu’on a filmé. Sauf bien sûr Freddie qui joue sa française et qui garde son masque à la main.

Combien de temps a durée la production, du développement à la Copie 0 ?

Davy CHOU : On a passé à peu près un an pour le développement. Bien sûr, à plusieurs étapes, il y a un moment où on se retrouve un peu seul, tu embêtes ton chef opérateur vidéo pour qu’il vienne un après-midi, pour parler un peu des plans. C’est vraiment quelque chose sur le long-court. Puis après on est vraiment sur six semaines intenses avec l’équipe au complet, c’est vraiment très court. Un tournage c’est toujours court et c’est un enjeu énorme. On a eu vingt-neuf jours de tournage en Corée du Sud et deux jours en Roumanie pour la séquence finale. C’est vraiment très court, surtout quand on voit le film, avec le nombre de personnages, le nombre de décors et le nombre de scènes… Ça signifie que chaque jour était un énorme défi contre le temps.

Et comme je voulais faire quelque chose de plus découpé que mon précédent film, il y avait quand même un certain nombre de plans. À la fin, la monteuse était vraiment surprise lors du dérushage du peu de prises que nous avions, maximum trois ou quatre par plan. Pris par les contraintes et par le temps, je ne me rendais pas compte que c’était aussi peu. Et je pense que pour les acteurs, ça les a mis dans un contexte d’intensité où faut pouvoir faire la scène en trois plans. Pour citer, je pense par exemple à Philippe GARREL, qui tourne qu’une prise par plan.

Retour à Séoul, un film de Davy Chou.
Retour à Séoul, un film de Davy Chou.

Ji-Min PARK : Ce qui est intéressant, c’est qu’au bout d’un moment, dès les premiers jours, j’ai tout de suite compris qu’on tournait trois à quatre prises maximums. C’est vrai que ça m’a tout de suite aidé à me conditionner et à donner ce qu’il fallait.

Avez-vous un message à transmettre au public ?

Davy CHOU : Moi je ne pense pas que les films soient faits pour véhiculer des messages, comme il est demandé de le faire, bien souvent. Au départ, il y a toujours la question de savoir si on fait un film pour nous ou pour le public. Mes idées de films viennent d’intuition où j’ai envie de faire ce film, car j’ai envie de le voir. Et peut-être que je ne suis pas le seul spectateur dans le monde qui partage cette envie, si le film est réussi. Donc j’espère juste que l’histoire de Freddie touchera des gens.

Retour à Séoul a déjà été montré lors de festivals, comme Cannes. Et ça me comble de joie de voir des spectateurs, souvent de la tranche d’âge de Freddie, souvent des jeunes urbains qui ont des origines différentes et ne vivent pas dans leur pays de naissance, et qui trouvent que Freddie leur parle, et raconte quelque chose de leur expérience, c’est vraiment la chose qui me fait vraiment plaisir quand je présente ce film.

Ji-Min PARK : Je n’ai pas non plus de message. Je pense personnellement je pense qu’un film ne sert pas à véhiculer un message. C’est rare, mais pour le coup je rejoins Davy (rires). Mais je suis toujours très émue quand on montre Retour à Séoul lors de festivals, et que des personnes d’histoires, de race, de genre différent… et qui viennent nous voir car ils sont émus et touchés, car il y a un ou plusieurs éléments dans le film qui les ont touchés, aussi minime soit-il. Que ce soit au-delà de l’histoire d’adoption ou la quête identitaire, c’est vraiment la richesse des émotions qu’on peut recevoir rien qu’avec une scène. Pour moi c’est quelque chose de précieux et c’est juste beau.

RETOUR À SÉOUL de Davy Chou, avec Ji-Min Park, dans les salles françaises le 25 janvier 2023 avec Les Films du Losange. Produit par Aurora Films.


Propos recueillis le 5 janvier 2023 par Jonathan “Jojo Tout Cour” Guetta pour Konata Nekoyama / Studio JM Production. Remerciements à Chloé Lorenzi et Marie-Lou Duvauchelle de l’agence Makna, ainsi qu’à l’équipe des Films du Losange.

Konata Nekoyama aime

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