Bye Bye Tibériade : La force de continuer à vivre

Hiam Abbass a quitté son village palestinien pour réaliser son rêve de devenir actrice en Europe, laissant derrière elle sa mère, sa grand-mère et ses sept sœurs. Trente ans plus tard, sa fille Lina, réalisatrice, retourne avec elle sur les traces des lieux disparus et des mémoires dispersées de quatre générations de femmes palestiniennes. Véritable tissage d’images du présent et d’archives familiales et historiques, le film devient l’exploration de la transmission de mémoire, de lieux, de féminité, de résistance, dans la vie de femmes qui ont appris à tout quitter et à tout recommencer.


Hiam Abbass est une actrice palestinienne que j’ai découverte pour la première fois dans Rock the Casbah de Laïla Marrakchi et que j’ai eu le plaisir de retrouver dans une filmographie impressionnante comprenant Ramy, Oussekine, Blade Runner 2049, Succession… Par ailleurs, il se trouve que j’aime découvrir ou redécouvrir des cultures à travers des récits de vies. En tout cas, je préfère ce format à celui où l’humain est anonymisé et réduit à des stéréotypes. C’est donc tout naturellement que j’ai fait des pieds et des mains pour assister à une séance de Bye Bye Tibériade au cinéma.

L’HISTOIRE INTIME D’UN DOUBLE EXIL

Bye Bye Tibériade
Lina Soualem (à droite) et Hiam Abbass (à gauche), dans le Deir Hanna d’aujourd’hui

Seule à l’écran, Hiam Abbass entre dans la maison de sa mère à Deir Hanna, près de Nazareth. Une maison pleine de souvenirs, mais désormais vide. C’est donc dans le silence du salon de sa mère récemment décédée que Hiam fond en larmes. La voix tremblante, elle dit à sa fille Lina, qui tient la caméra, que Nemat – sa mère, grand-mère de Lina – lui a toujours appris l’importance du pardon. Mais Hiam ne sait pas si, justement, sa mère lui a pardonné d’être partie pour réaliser son rêve de devenir actrice.


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Ce que je viens de vous décrire est une scène du merveilleux documentaire Bye Bye Tibériade, réalisé par Lina Soualem. Trois ans après Leur Algérie, qui contait l’histoire de sa famille paternelle, Lina Soualem filme ici celle de sa famille maternelle. Et ce, à travers un mélange d’images d’archives, d’entretiens et de (re)mises en scène.

Bye Bye Tibériade raconte l’histoire d’une famille palestinienne sur plusieurs générations. Le documentaire parcourt, de 1940 jusqu’à aujourd’hui, l’évolution et la force de ces femmes au fil des années. La période couverte comprend leur exil forcé de Tibériade vers Deir Hanna lors de la Nakba de 1948 à aujourd’hui. Elle comprend aussi l’exil voulu de Hiam Abbass. En effet, Hiam Abbass se sentait étouffée dans un milieu qui a cherché à déposséder sa famille de son foyer, sa culture, son histoire et son humanité. Par la suite, elle reviendra à partir des années 90 à intervalles réguliers, suite à la naissance de Lina.

Comme partout ailleurs, au-delà de la politique, au-delà de ce que des mouvements de propagande veulent nous faire croire, il y a les humains. Oui, cette famille est profondément marquée par son exil forcé et la destruction du Tibériade qu’elle connaissait. Elle n’est cependant pas réduite à cela et elle a continué sa vie. Ainsi, on découvre tour à tour des récits sur la carrière d’enseignante de Nemat, la passion de Hiam pour la poésie, sa découverte du théâtre à Jérusalem, les mariages et tant d’autres. Des femmes qui racontent leur histoire avec leur propre voix, sans censure ni concession.

DE LA MÉMOIRE INDIVIDUELLE A LA MÉMOIRE COLLECTIVE

Bye Bye Tibériade
Lina Soualem (à gauche) et Hiam Abbass (à droite), entrain de coller des photos de famille sur un mur

En sortant de ma séance, j’ai entendu l’un.e des spectatrices dire :

“La vie, c’est les gens”.

Je n’aurais pas dit mieux.

Pour commencer, il n’est pas forcément question de parler de l’actualité. Premièrement, le documentaire a été tourné et projeté en festival bien avant le 7 octobre dernier. Et de deux, le conflit dure depuis 76 ans.

En fait, il s’agit de l’histoire d’une famille, avec ses moments de joie, ses rêves, ses mariages, ses enfants, ses douleurs, ses réussites, ses anecdotes, ses talents cachés, ses peines, ses disputes, ses moments de rigolades… En somme, une famille comme une autre, dans son intimité et son individualité.

Ainsi, je resterai marquée par les récits des vies de Um Ali (grand-mère de Hiam), Nemat, Hiam, Lina et leur grande famille. Malgré les nombreux traumatismes de guerre, ces femmes de plusieurs générations ont réussi à conserver leur histoire, leur culture et leur amour de la vie.

Bye Bye Tibériade
Photo d’un mariage à Deir Hanna dans les années 80

Dans le contexte d’une autre famille, palestinienne ou non, on aurait eu un tout autre et tout aussi beau documentaire. Car l’humanité est riche de sa diversité.

Un humain n’est pas un nombre.

Un humain n’est pas anonyme.

Un humain a une vie, des rêves, des espoirs, des liens.

Nous avons vu assez de double standard dans les traitements médiatiques de certains événements, certains pays, certaines communautés, etc. pour comprendre qu’on a vite oublié que toute personne n’est représentante que d’elle-même, pas des décisions/manigances de leurs gouvernements. Et encore moins de personnes isolées.

La plupart des gens veulent vivre leur vie en paix. Une vie est une vie.

Il était un temps pas si lointain où il me semblait inconcevable d’assister à un génocide qui est non seulement filmé, mais continuellement justifié par des personnes soit endoctrinée jusqu’au point de non-retour, soit très mal informées, soit… juste des monstres dénués de tout sens critique et empathie. Et puis, je me fiche de qui ? Aussi longtemps que je m’en souvienne, il y a toujours eu des conflits et des massacres dans le monde. Ce perpétuel cycle de la haine alimenté par la cupidité et la stupidité de certain.e.s.

Il faut que cela cesse vraiment.

Ceasefire now and everywhere.

Free Palestine.

Free all the displaced, colonized and oppressed people.

Avoir accès aux archives photos et vidéos de l’histoire de ces femmes sur quatre générations est un privilège. Les immortaliser à travers ce documentaire est beaucoup plus que cela grâce à Bye Bye Tibériade. Lina Soualem a réussi à marquer l’Histoire avec une preuve supplémentaire de la résilience du peuple palestinien.

GENRE : Documentaire
PAYS : Palestine, France, Belgique
DATE DE SORTIE FR : 21 février 2024
RÉALISATION : Lina Soualem
AVEC : Hiam Abbass, Um Ali Tabari, Nemat Tabari Abbass
PRODUCTION : Beall Productions, Altitude100 Production, Philistine Films
DISTRIBUTEUR FR : JHR Films
© Beall Productions – Altitude100 Production – Philistine Films – Doha Film Institute – 2023

Konata Nekoyama aime

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