Black Tea : Rêver éveillé… Ou pas ?

Aya, une jeune femme ivoirienne d’une trentaine d’années, dit non le jour de son mariage, à la stupeur générale. Émigrée en Chine, elle travaille dans une boutique d’export de thé avec Cai, un Chinois de 45 ans. Aya et Cai tombent amoureux mais leur histoire survivra-t-elle aux tumultes de leurs passés et aux préjugés ?


Je dois me confesser : je suis loin d’avoir une culture cinématographique riche. Très loin. Cela ne m’empêche pas de quand même m’asseoir à une projection de Black Tea, dernier film d’Abderrahmane Sissako, en sachant qu’il est reconnu par la profession comme une légende, mais sans avoir vu un seul de ses films. Juste parce que j’ai lu le synopsis.

J’en ressors avec une culture un peu plus riche et beaucoup de pistes de réflexion à creuser. Abderrahmane Sissako nous présente ici une sorte de huis clos presque exclusivement nocturne et totalement utopique… ou non ?

PORTRAIT D’UN PETIT COIN DE PARADIS

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Black Tea, un film d’Abderrahmane Sissako.

La majeure partie de Black Tea se situe de nuit dans un quartier de Canton, surnommée “Chocolate City” en Chine, d’où le fait que je qualifie le film de “sorte de huis clos”. Le tournage ne s’y est pas déroulé, mais il s’agit d’une ville bien réelle avec une communauté bien réelle formée de différentes diasporas africaines.

Bien que personne ne soit complètement ignorant du racisme présent en Chine, ici tou.te.s les habitant.e.s vivent en harmonie, que ce soit en Mandarin, en Cantonais ou toute autre langue. Chacun.e vit sa vie avec ses joies, ses peines et ses histoires.

On sent ce côté paradisiaque à travers, entre autres, notre protagoniste, Aya. Le contraste entre sa tristesse le jour de son mariage et son épanouissement dans son quotidien à Canton est saisissant. Interprétée avec brio (en plusieurs langues !) par Nina Melo, c’est un personnage qui force l’admiration. Son choix de suivre ses rêves, plutôt qu’une vie malheureuse avec un incapable, lui a permis d’acquérir une sagesse qui affecte son entourage. Les quelques scènes où elle savoure calmement un thé seule chez elle m’inspiraient un sentiment de paix intérieure dont il est difficile de se détacher.


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Par ses différents déplacements dans son voisinage, on découvre une palette de personnages qui incarnent cette harmonie. Un ado qui prend des cours de danse fréquentés par une variété de personnes, des Ivoirien.ne.s qui marchandent en Mandarin, des Chinois qui marchandent en anglais, en arabe, etc. Des scènes du quotidien qui sont en fait très familières à toute personne vivant dans un milieu cosmopolite.

Dans le contexte actuel (m’enfin, qui dure depuis un moment…), ce genre de portrait est plus que bienvenu. Abderrahmane Sissako nous montre ici que vivre ensemble en harmonie est possible lorsqu’on est constamment au contact de l’autre, qu’on s’intéresse à lui, à sa culture, à sa langue, etc. Mais également : qu’on reconnaisse que l’on n’est représentant.e de personne d’autre que soi-même.

Pour résumer, j’ai adoré ce portrait de Canton. Il donne envie d’atteindre cet idéal.

L’IMPORTANCE DE “PARTIR MENTALEMENT”

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Black Tea, un film d’Abderrahmane Sissako.

J’espère qu’Abderrahmane Sissako me pardonnera de lui avoir emprunté cette expression lue dans le dossier de presse du film. 😉 Par “partir mentalement”, il évoque l’idée selon laquelle quelqu’un qui décide de s’exiler physiquement était déjà mentalement “parti”, à l’image d’Aya qui semble avoir l’esprit ailleurs lors de son mariage. Je lui emprunte cette expression, car j’ai effectivement interprété les arcs des différent.e.s habitant.e.s du quartier de cette manière.

Un autre point qui réunit les personnages est l’importance de faire la paix avec son passé pour pouvoir avancer. Ce n’est, bien sûr, pas très évident, à l’image de Cai (par exemple), qui n’arrivera – selon moi – à enfin vivre sa relation avec Aya au grand jour qu’après avoir réparé ses liens avec Ying (son ex-femme) et réparé autre chose que je ne peux pas vous citer puisque je me suis engagée à faire une critique sans spoilers.

Bien entendu, on ne peut pas toujours faire amende honorable avec le passé, pour des raisons souvent logistiques, sociétales, etc. Mais on peut le faire mentalement, et émotionnellement, pour atteindre cette paix intérieure dont on a tant besoin pour avancer. Black Tea met en scène ce procédé grâce à un côté onirique inventif. Pour être honnête, je me suis fréquemment demandée si ce que je voyais était réel ou non. Rêve ou réalité ? Cela a-t-il vraiment une importance tant qu’Aya, Cai, Ying et beaucoup d’autres arrivent à avancer dans le bon sens une fois revenu.e.s à la réalité ?

“Partir mentalement”, c’est aussi parcourir ce cheminement intérieur nous permettant d’évoluer positivement. C’est une belle leçon du film.

À travers ce portrait quasi onirique d’une communauté de personnages en quête de véritable paix intérieure, Abderrahmane Sissako nous offre dans Black Tea une expérience unique. Expérience qui ne peut que nous encourager à suivre un cheminement intérieur similaire à celui d’Aya.

TITRE ORIGINAL : Black Tea
GENRE : Drame
DURÉE : 1h49
PAYS : Mauritanie, France, Taïwan, Côte d’Ivoire
DATE DE SORTIE FR : 28 février 2024
RÉALISATION : Abderrahmane Sissako
AVEC : Nina Mélo, Han Chang, Ke-Xi Wu
PRODUCTION : David Gauquié, Julien Deris, Denis Freyd
DISTRIBUTEUR FR : Gaumont
©2024 Cinéfrance Studios – Archipel 35 – Dune Vision – Gaumont – Red Lion – House on Fire – House on Fire International – Wassakara Productions – ARTE France Cinéma

Konata Nekoyama aime

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