Abdelinho, de son vrai prénom Abdellah vit dans une petite ville au Maroc. Abdelinho est coincé entre une mère hystérique et un travail kafkaïen dans une administration. Sa seule échappatoire : le Brésil et son amour pour Maria, l’héroïne d’une télénovela éponyme. Cette passion est menacée par l’arrivée de l’obscur Amr Taleb, télévangéliste musulman, qui prône une sobriété bien éloignée des cours de samba donnés par Abdelinho aux femmes de sa ville.
Pour être honnête, je ne saurais décrire Abdelinho simplement. Ce qui commence comme un univers décalé nous entraîne dans une réflexion sur deux sujets plus que sérieux : la facilité à endoctriner et l’importance d’assumer notre originalité. Avec le sourire et la bonne humeur.
UN TON ORIGINAL
La première chose qui m’a marquée dans ce film est le ton introduit dans la première séquence, avec le fameux “café des hittistes”. Des personnes perdues, le regard vide, avec rien d’autre à faire que de rester assis devant une rue déserte. En fait, ils attendent que l'”ambulance des chômeurs” viennent les chercher. Ainsi, on a ce contraste entre un terme humoristique au Maghreb ( “hit” = mur en arabe – hittiste désigne une personne adossée à un mur. Il est utilisé au second degré pour parler de chômeurs sans perspective d’avenir) et une situation tout sauf drôle qui est le contexte socio-économique où se place dans notre histoire…
…et on a Abdelinho – Abdallah, de son nom de naissance – qui vit sa meilleure vie avec une famille qui l’aime et une passion pour le Brésil. Plus généralement, on nous introduit une société qui, malgré les difficultés économiques, garde sa joie de vivre grâce à ses passions. Le seul élément qui manque à la vie de notre protagoniste est Maria, héroïne de feuilleton brésilien qui a conquis son cœur. Il ne peut la voir qu’à travers sa télévision. Il travaille dur pour réaliser son rêve de Brésil et, peut-être, rencontrer Maria. C’était sans compter sur l’opportunisme d’un télévangéliste cupide (et son poisson rouge qui fait de la danse classique). Je vous laisse découvrir cela en détails en salles.
Je n’étais pas au bout de mes surprises.
Indice : le surnaturel n’est pas tout à fait imaginaire dans ce film.
Ce qui est assez impressionnant est qu’on croit à cet univers. Les attitudes des personnages sont conformes à ce que j’ai personnellement connu dans la vraie vie et le côté surnaturel/fantastique s’y imbrique sans soucis. Abdelinho fait partie de ces satires inclassables qui arrivent à maintenir un ton décalé en sachant cependant être sérieux quand cela est nécessaire. Le tout avec une maîtrise remarquable. La mise en scène, inventive, contribue à donner à ce film un côté “ovni” (pour citer son réalisateur). C’est une sorte de conte, mais c’est également un film de société. On rit beaucoup, et on pleure beaucoup aussi.
UN FILM ENGAGÉ
Personnellement, je trouve que le film montre la facilité à endoctriner une population. Et ce, que ce soit sur le plan religieux comme politique. Il suffit d’une personnalité charismatique et d’une mise en scène qui fait mouche. J’ai ressenti de la peur et de la tristesse devant la rapidité avec laquelle l’environnement d’Abdelinho – d’habitude très joyeux et coloré – se transforme en milieu sinistre, rongé par l’obscurantisme et la corruption. Par exemple, une scène avec un vieil imam – qui lui est un pur homme de religion, doux et gentil, contrairement à Amr Taleb – m’a particulièrement marquée.
Fort heureusement, là où j’ai pensé à tort voir un récit d’anticipation, le film garde un optimisme à toute épreuve et nous montre que oui, on peut sortir de cet obscurantisme. Et qu’on peut s’épanouir et vivre nos rêves.
Si on fait un peu plus attention, on se rend compte que le protagoniste n’est pas le seul personnage “original”. En vérité, ils ont tous quelque chose qui les distingue des autres. Cette société hétérogène vit tout de même en harmonie. Ainsi, cela ne rend que plus beau le combat d’Abdelinho – et des autres – pour se libérer et vivre leurs rêves.
Abdelinho montre que l’on peut trouver ce juste équilibre entre les valeurs avec lesquelles nous avons grandi et la liberté de rester soi. Le chemin sera forcément semé d’embûches, mais il en vaut la peine.
Hicham Ayouch nous délivre un des films les plus originaux que j’ai pu voir. Il combine avec efficacité divertissement et réflexion sur des thèmes plus que sérieux. Un film nécessaire et fun. Je ne peux que vous le recommander, c’est un pur bonheur !
TITRE ORIGINAL : Abdelinho
GENRE : Comédie, drame
DURÉE : 1h40
PAYS : Maroc
DATE DE SORTIE FR : 16 Août 2023
RÉALISATION : Hicham Ayouch
AVEC : Abderrahim Tamimi, Inês Monteiro, Ali Suliman
PRODUCTION : Président Production
DISTRIBUTEUR FR : Urban Distribution
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