Young Gods de Barry Windsor-Smith : une histoire des comics

À une autre époque, dans le palais des dieux, Heros est tracassé. Il doit se marier à Celestra, princesse d'un autre panthéon divin. Il évoque son malaise à son meilleur ami. Tous les deux décident alors d'aller boire un verre avant de partir chasser les dragons. En route, ils croisent Adastra, la sœur de la mariée à la chevelure rousse flamboyante. Tous les trois partent alors en direction du troquet le plus proche... Plus loin, Otan, le père tout-puissant, rappelle à son Grand Vizir l'importance capitale de l'union de son fils Heros avec Celestra, un mariage à l'enjeu bien plus important qu'il n'y paraît...

AUX ORIGINES ÉTAIENT JACK KIRBY

Avant de se pencher sur les Young Gods de Barry WINDSOR-SMITH, il est utile de se poser cette question : que seraient les comics modernes sans l’apport de Jack KIRBY ? Le maître, qui a commencé les comics dans les années 40, a apporté énormément au médium. Mais il n’a jamais connu son statut de légende de son vivant. Il faut attendre sa mort en 1994 pour que le grand public et la profession s’accordent à reconnaître l’incroyable talent du dessinateur. Alors qu’il était le papa, entre autres, de Captain America, il a créé avec d’autres grands noms des personnages majeurs des comics, comme les Quatre Fantastiques ou Thor avec Stan LEE.

Mais si c’est avec Marvel qu’il a connu ses premiers succès, c’est avec la concurrence que “The King” a été le plus créatif. Il commence à vouloir être plus exigeant et sortir un peu des sentiers battus des super-héros. Dans les années 70, après 30 ans de bons et loyaux services chez Marvel* il lance chez la Distinguée Concurrence son Quatrième Monde.

C’est dans ce comics qu’il crée les New Genesis et Apokolips. Deux mondes divins issus du Ragnarok. Malheureusement, les ventes ne suivent pas et les trois séries The New Gods, The Forever People et Mister Miracle sont annulées après les 11e et 18e numéros. Une redite au milieu de la décennie sera tentée chez Marvel avec Les Eternels. Cette série connaîtra plusieurs moutures, dont une par le King. La première entre 1976 et 1978 reprend plusieurs codes de sa saga avortée chez la firme à deux lettres. Cependant, au milieu des années 80, Kirby retourne chez DC écrire une conclusion aux New Gods.

*Sous le nom de Timely Comics pour Captain America ou Atlas Comics avant que la firme ne s’appelle Marvel (NdR)

PUIS VINT BARRY WINDSOR-SMITH…

Dans les années 90, et a fortiori au début de cette décennie, Dark Horse est un éditeur puissant. Fort de plusieurs séries à succès (Madman, Hard Boiled, Hellboy ou Sin City…), l’éditeur embauche à tour de bras. Au début des 90s, des auteurs et des dessinateurs de renom tels que Mike ALLRED, Frank MILLER, Mike MIGNOLA ou Geoff DARROW signent chez lui. A cette même époque, Barry WINDSOR-SMITH s’éloigne de plus en plus de Marvel qui lui “vole” ses chefs-d’œuvre. C’est le cas de la triste histoire derrière son Hulk qui rendra l’auteur dessinateur dépressif. Mais c’est une autre histoire sur laquelle on reviendra dans un article dédié.

Cependant, il avait un projet fort : trois séries publiées dans le même comic-book au format augmenté. Dark Horse qui est nommé “Editeur Initial” dans la partie éditoriale, a promis monts et merveilles à l’auteur britannique afin de le récupérer dans son giron.

Mais les années 90 connaissent, dans le milieu de la décennie, une crise forte dans le comics. Une crise qui voit Marvel être au milieu de la faillite et les éditeurs indépendants s’éteindre. Certains seront rachetés, comme Malibu Comics, par Marvel ou par DC. D’autres disparaîtront purement et simplement comme Tundra Comics.

De fait, contrairement à la promesse faite, et face aux ventes décevantes, The Storytellers, n’est pas renouvelé. Le magazine est annulé au bout de quelques numéros. Et ce malgré l’aura de BWS. Le parallèle avec Jack KIRBY et ses New Gods semble alors évident. Une série avortée en pleine publication et qui mêle cosmogonie et SF.


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MAIS YOUNG GODS, QU’EST-CE QUE C’EST ?

Si la première partie de l’histoire ne brille pas par son originalité, c’est son traitement qui la rendra culte, son histoire éditoriale chaotique y étant aussi pour beaucoup. On suit Adastra, une nouvelle déesse dont on ne saura rien de ses origines. Elle part à l’aventure avec son futur beau-frère et le cousin de celui-ci. Une aventure cosmique, psychédélique et dont les piques envers le marché du comics de l’époque et son public rendent la lecture délicieuse.

Young Gods

En effet, au-delà d’une forte inspiration kirbiesque, WINDSOR-SMITH est plein de cynisme et d’amertume quant à l’industrie qui l’embauche. Quand bien même, il adore le médium, les besoins énormes de rendement voient des séries être annulées avant la conclusion de leurs histoires. Cette pratique le rend dur quant aux différents éditeurs. Elle n’est malheureusement pas nouvelle comme nous le voyions plus haut. Mais elle s’est accélérée dans la deuxième moitié des 90s. Et si les années 2000 permettent de relancer le marché avec de nouveaux éditeurs, les années 1995 à 2000/2005 sont très compliquées pour l’édition. D’aucun diront que la crise actuelle des comics ressemble énormément à celle des 90s… Mais c’est un autre sujet sur lequel nous nous pencherons plus tard.

Young Gods est une série qui se vend mal. Une des cases des conclusions écrites par l’auteur, des années après, parle d’une centaine de milliers de copies de son Storytellers vendues. Un chiffre très faible, surtout pour l’époque, et ce, malgré le nom de l’artiste sur la couverture. Le prix était un frein non négligeable pour l’époque. En effet, le magazine était vendu plus du double de ce qui était présent sur le marché. Environ 5$ quand les floppies de l’époque étaient autour de 2$.

PLUS QU’UN COMICS, UNE HISTOIRE SUR L’ÉTAT D’UN MARCHÉ

C’est là toute la force du comics. Avant même son annulation par Dark Horse, BWS nous gratifiait à la cinquième issue d’une merveilleuse pulvérisation du 4ᵉ mur. L’auteur et l’éditeur intervenaient tels des metteurs en scène lors d’une répétition d’une pièce pour modifier le contenu de leur œuvre. Et à l’époque des Image Boys et de l’hypersexualisation des figures féminines dans le comics, ils s’adressent aux plus lubriques de toute l’industrie quant à ces couvertures de femmes très peu vêtues. Un constat noir, grinçant et délicieusement jubilatoire. Cependant, plus de 25 ans après la publication originale, force est de constater que le comics mainstream joue toujours sur les formidables silhouettes de leurs personnages féminins. Certains comme Jeffrey Scott Campbell en font même leur fonds de commerce.

Il en est de même sur certains comics indépendants, mais bénéficiant d’une belle visibilité. C’est le cas de beaucoup de publications Dynamite Comics. Prenons le cas Elvira. Elle a été connue grâce à l’actrice Cassandra PETERSON et sa poitrine généreuse. Mais elle reste habillée comme une vamp dont seul le décolleté met en avant ses “charmes”. En parallèle, nous continuons d’avoir des Red Sonja, Vampirella ou Sheena très légèrement vêtues, les tenues ayant même encore tendance à se raccourcir. Nous ne sommes certes pas dans la même sexualisation qu’il y a vingt ans, où un Michael TURNER dessinait des personnages féminins aux jambes interminables et à la silhouette longiligne. Mais une part “lubrique” des comics est toujours visible, et ce, sans chercher dans les comics pour adultes.

DÉSILLUSIONS ET DÉPRESSION

L’amertume de BWS se sent d’autant plus à la lecture des épisodes écrits plusieurs années après la publication originale de The Storytellers. Dans l’épisode crossover The Party qui voit Freebooters, Young Gods et Paradoxman se croiser, les attaques envers Dark Horse se font fortes et violentes. BWS n’a jamais caché son amertume envers Dark Horse. L’éditeur s’était engagé à soutenir son projet coûte que coûte avec le résultat que l’on connaît. La conséquence à cela en est un écœurement de l’auteur de sa série et du marché des comics en général. Il lui faudra près de cinq ans pour écrire des planches lui permettant de conclure sa série. Cette amertume transparaît dans les pages rédigées. Des pages ayant failli ne jamais voir le jour tant le britannique était insatisfait de son travail.

Un parallèle avec un autre grand nom britannique des comics se fait alors naturellement. Dégoûté par l’industrie, Alan MOORE a fini par ne plus vouloir être associé à l’industrie des comics par quel biais que ce soit au point où il demandera à ne plus être crédité sur ses histoires passées en dehors de rares titres. BWS, suite à la “mort” prématurée de son bébé, s’éloigne des comics très fortement. Le fait que sa série Superman écrite après The Storytellers n’ait jamais été publiée a dû fortement jouer pour cet éloignement. En dehors de Monsters (qui reprend l’histoire de son Hulk et la développe) et de quelques pages éparses, l’auteur gardera une sorte de retraite quant à l’industrie des comics.

LIBERTÉ SCÉNARISTIQUE RÉDUITE

Si Alan MOORE s’est longuement et plusieurs fois exprimé quant à son dégoût de l’industrie des comics, Young Gods est un fort témoin, via une tierce personne, de ce pourquoi l’auteur brillant s’en est éloigné. Faible rémunération, encore plus faible si l’histoire n’est pas rééditée en format collecté. Négociations de droits et de royalties quasi inexistantes au sein des deux principales firmes de l’industrie peuvent être deux exemples. Rajoutez à cela des pressions éditoriales pour que l’histoire coïncide avec des écrits à venir mêlant les personnages, et donc une faible appropriation de l’histoire par l’auteur. Vous comprendrez alors que des artistes talentueux finissent par s’éloigner des comics, et encore plus des éditeurs mainstreams. Cette raison qui a fait qu’Alan MOORE ne veut plus jamais entendre parler de Marvel ou DC. Une raison, venant de Dark Horse cette fois, qui a fait que BWS est maintenant aux abonnés absents des comics.

Young Gods

UNE VERSION RELIÉE IMPRESIONNANTE

Cependant, un salut survient tant pour l’auteur que pour les fans de l’artiste. Le rachat des droits de Freebooters et de Young Gods à l’aube des années 2000 par la maison d’édition Fantagraphic Books. Non seulement l’éditeur gratifie les fans d’une version reliée de ces deux séries en deux tomes distincts, mais aussi relance BWS. Il doit écrire une fin. Peu importe le temps que cela prendra. Il faut lui remettre le pied à l’étrier. Cela donne la fin avec The Party qui a été évoquée un peu plus haut. Mais cela nous permet aussi d’avoir une version avec une partie éditoriale impressionnante. Plus qu’un comics, c’est un témoin fort d’une part de la vie de Barry WINDSOR-SMITH et des relations éditeurs / artistes qui existent dans le monde des comics.

UN TRÈS BEL OBJET

C’est la version traduite de ce hardcover que nous propose Komics Initiative. Un pavé au prix très accessible vu l’apport historique du livre, son format et son auteur. Même s’il n’est pas exempt de défauts (plusieurs coquilles ayant échappé au maquettiste), c’est un livre qui ravira les amateurs du médium, de BWS comme les “historiens” du comics. Qui plus est, le style de Barry WINDSOR-SMITH, que ce soit aux dessins ou à la narration, est un délice. Même s’il reste loin de son chef-d’œuvre qu’est Arme X (Weapon X), son récit sur les origines de Wolverine.

UN STYLE QUI TRANCHE AVEC SON ÉPOQUE

Un style bien loin des “Liefeld-eries” ou autre Jim Lee de l’époque. Un style qui s’inspire plus du franco-belge et de Jack Kirby que des modes de cette deuxième moitié des 90s. Une mode que l’auteur moque avec un plaisir lisible sur les différentes planches que composent les neuf premières issues avant l’annulation de la série.

YOUNG GODS de Barry Windsor-Smith est bien plus qu’une histoire référençant et s’inspirant des Eternels et des New Gods de Jack KIRBY. Il est un témoin fort des tensions entre un éditeur et un auteur quant à une histoire ayant peiné à trouver son public en son temps. Mais une œuvre ayant fini par devenir culte avec le temps. Bénéficiant de l’aura de son auteur-dessinateur de génie. Et cette édition de Komics Initiative rend honneur tant au travail de l’artiste qu’à celui de Fantagraphic Books dont nous avons une copie quasi à l’identique ici. Pour tous lecteurs voulant un morceau d’histoire et un bijou aux relents psychédéliques du comics indépendant, foncez sur ce tome.

TITRE ORIGINAL : Barry Windsor-Smith: The Storytellers – Young Gods
GENRE : Science-Fiction / Aventure / Psychédélique
Pays : États-Unis
ÉDITEUR ORIGINAL : Dark Horse puis Fantagraphic Books
AUTEUR : Barry Windsor-Smith
ILLUSTRATEUR : Barry Windsor-Smith
COLORISTE : Barry Windsor-Smith
ÉDITEUR FRANÇAIS : Komics Initiative

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