Lorsque le policier Jimmy Sangster rentre à Philadelphie pour enterrer son père assassiné, il se retrouve vite confronté à un complot surnaturel qui gangrène l’Amérique depuis des centaines d’années. Sa ville, qui était autrefois le symbole de la liberté, est devenue la proie de la corruption, de la violence, de la misère… Et des vampires. BIENVENUE À KILLADELPHIE…
Un récit aux multiples tonalités
Huginn & Muninn. Voilà un éditeur qu’il faut suivre et qui se promet une très belle place sur le marché très fermé du comics en France. Une place méritée tant leurs choix sont pertinents et qualitatifs. Alors quand l’occasion s’est présentée à moi de lire Killadelphia pour une chronique, j’ai tout de suite été emballé.
Killadelphia c’est un polar noir contemporain. Un récit entre fantastique et horreur et dont les trois genres cohabitent brillamment sans que cela devienne nanardesque. La base reste cependant un thriller. On suit le jeune Jimmy Sangster, inspecteur de police qui rentre enterrer son père. Une partie dont il ne manque que l’ambiance musicale du saxophone des films des 50’s pour que l’ambiance soit parfaite. Cependant, très vite, l’histoire va mêler ses éléments fantastiques et densifier son récit.
Chasse aux vampires, ésotérisme, histoire des USA… Un cocktail qui peut ressembler à un nanar dont il ne manquerait que les nazis et les dinosaures pour être complet. Mais sous la plume de Rodney BARNES, scénariste de Runaways, American Gods et Wu-Tang: An American Saga pour la télévision, le cocktail prend une tournure délicieuse. Surtout quand cette plume est sublimée par Jason Shawn ALEXANDER qui a officié sur Spawn et Abe Sapiens entre autres.
Une enquête étonnante…
Philadelphie, dont le slogan est “Puisse la fraternité être avec vous” dans la langue de Molière, est le théâtre d’un coup d’État vampirique en devenir. Mené par l’un des pères fondateurs, dans l’ombre depuis plus de 200 ans, il a réussi à envahir secrètement Philly avec son armée de vampires. Heureusement, James Sangster père menait l’enquête. Et suite à son décès, son fils, avec qui il était en froid, va prendre le relai… Sera alors lancée une histoire qui réussira à apporter un soupçon mystique/mythologique, qui sera le fil rouge de la série, dont le numéro 30 est sorti fin avril aux USA.
Ce côté fantastique horrifique porte des sujets parfaitement maîtrisés par l’équipe artistique. Un récit qui prend le temps d’installer ses personnages et leur donner de la profondeur. Si elle rappelle un certain American Vampire de Scott SNYDER, l’écriture se veut plus froide et moins “super héroïque”. Certes, les comparaisons, tant sur la thématique que sur certains éléments de scénario, sont aisées à faire. Mais nous n’explorons pas une histoire quasi alternative des USA via ce titre. D’ailleurs, Jason Shawn ALEXANDER accentuera énormément les traits du polar par de nombreuses scènes dans les locaux de la police de Philadelphie.
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Mais les scènes horrifiques sont très bien menées aussi. ALEXANDER livre des planches de toute beauté, mais peu adaptées à un jeune public. Le coloriste livrant d’ailleurs un superbe travail sur ce point, alternant nuance de couleurs grises et bleues pour la partie polar du récit et couleurs tirant plus sur les teintes rouges et noires pour la partie horrifique.
Vampire, vous avez dit vampire ?
Killadelphia nous amène sur une nouvelle mythologie vampirique. Mais prend le parti de ne pas la différencier des humains tant leurs ambitions semblent similaires. Ceci dit, la figure vampirique paraît être ici une allégorie d’une génération ne se retrouvant pas dans notre monde changeant. Par la figure de John Adams, on voit une société qui veut renouveler les présents dogmes sociétaux, mais qui ne font en rien bouger les choses. Toutefois, l’auteur prend le soin de ne pas donner, pour le moment, de réelles alternatives. Seul le concept de liberté est mis en avant. Laissant entendre que la société occidentale ne donne qu’une illusion de celle-ci. Par un de ses personnages, les notions libertariennes sont même mises en avant. Proche d’un rejet total de toute forme de contrainte et de règles. Mais sans apporter de jugement sur celle-ci.
Il en va de même pour le maintien d’un ordre en obsolescence incarné par Adams. Quand bien même, il incarne l’antagoniste de ce premier arc (sur cinq actuellement outre-Atlantique), sa vision des choses ne semble pas dénuée de sens et prône malgré tout une certaine tolérance, mais tout en restant sur un système d’élites. Abigail Adams parait alors incarner bien plus cet antagonisme.
Un premier arc plus profond qu’il n’y paraît
Au final, ce premier arc sous couvert d’une histoire de vampire et d’un conflit familial voit plus une analogie avec notre monde actuel. La conclusion donnant d’ailleurs peut-être les clés d’une société idéale. Certes, cette conclusion est simple et peut paraître enfantine. Mais le dénouement quant à la famille Sangster est sûrement ce que l’auteur considère comme une solution dans un monde sur lequel l’on oppose toutes les catégories d’une population entre eux.
La plus grande force de ce sous-texte est d’ailleurs de ne pas être trop appuyé et mis en lumière. Cette interprétation en étant une possible et probablement pas ce qui est réellement. Et le récit en lui-même reste une enquête policière menant vers du surnaturel dans un monde ignorant tout des créatures de la nuit. Que vous lisiez ou non le sous-texte, vous passerez un bon moment.
Killadelphia est un très bon récit mêlant polar noir, fantastique et horreur. Une histoire qui permettra, tout en suivant des personnages denses, de se plonger dans une ville en proie au chaos et de ramener des figures historiques moins connues des États-Unis. Le tout servi par de sublimes dessins rappelant pour beaucoup ceux de Sean Philips sur les polars d’Ed Brubaker. Une série chaudement recommandée dont la suite va être fortement attendue.
TITRE ORIGINAL : Killadelphia
GENRE : Polar – Horreur
PAYS : USA
ÉDITEUR ORIGINAL : Image Comics
AUTEUR : Rodney Barnes
ILLUSTRATEUR : Jason Shawn Alexander
COLORISTE : Luis NCT
ÉDITEUR FRANÇAIS : Huginn & Muninn