Limbo : La crasse de Hong-Kong au service d’un polar

Dans les bas-fonds de Hong-Kong, un flic vétéran et son jeune supérieur doivent faire équipe pour arrêter un tueur qui s’attaque aux femmes, laissant leur main coupée pour seule signature. Quand toutes leurs pistes s’essoufflent, ils décident d’utiliser une jeune délinquante comme appât.

Le film de la consécration

Quand une production chinoise arrive sur nos écrans, c’est toujours un petit événement. Et pour une fois que ce n’est pas du wuxia, aller soutenir cette production est d’autant plus plaisant. Et avec Limbo, le spectateur allant voir ce film est récompensé.

Soi CHEANG n’est pas le premier venu dans le cinéma chinois. Pour cet acteur, réalisateur et producteur né à Macao, ce film est un succès critique comme commercial. 34 nominations réparties sur 4 compétitions pour 12 prix dont 2 pour le meilleur film et 2 pour la meilleure direction artistique. Il a cependant connu une notoriété grandissante grâce au Wuxia avec The Monkey King ou le cinéaste a dirigé Donnie YEN en 2014 puis Aaron KWOK pour les deux suites du film en 2016 et 2018.

Il faut dire que ce film, malgré son propos et son milieu, est une petite merveille. Les plans sont soignés tout comme son noir et blanc, pourtant traité en post-prod, et permettent de donner au film une atmosphère lourde et pestilentielle. Une pestilence que l’on peut même sentir depuis son siège de cinéma. Mais il aura fallu du temps au film pour se frayer un chemin sur le territoire hexagonal. Sorti en fin 2021 en Chine et à Hong-Kong, il ne sort chez nous que cet été. Pour le plus grand plaisir des amateurs du genre.


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Des personnages au service du récit

Limbo, c’est un film noir, dur et cru. On suit une enquête tortueuse ou, parmi les six personnages principaux, la ville en est un à part entière. Un film qui nous laisse deux gros messages en filigranes traitant d’une part des obsessions devenant pathologiques et d’autre part de la façon dont les très grandes villes broient ses habitants.

Car Hong-Kong, même si elle n’est jamais nommée, est au final le personnage central de ce récit. À travers sa vision dystopique, le réalisateur nous montre à quel point les très grandes métropoles de l’est asiatique détruisent leurs habitants en leur arrachant jusqu’à leurs codes moraux les plus profondément ancrés. Au point de devenir totalement obsessionnel, leurs motivations les font sortir de leurs lignes de conduites qu’ils se sont imposés. Cette obsession devenant de plus en plus forte au détriment de la droiture se fait jour avec le personnage de Will Yam (joué par Mason LEE) qui apparaît comme un modèle de droiture et finira par se perdre dans son enquête. Quant à deux autres des personnages principaux, nous avons des portraits très noirs du flic qui s’est perdu comme de la jeune délinquante dont la rédemption ne semble jamais venir.

Limbo

Trois personnages principaux, trois secondaires, une ambiance…

Dans ce film, trois arcs distincts se font écho pour au final ne se croiser qu’au dénouement. Nous suivons d’abord Cham Lau (Gordon LAM). Un flic dur, froid et semblant avoir perdu son âme. Ses méthodes sont dures, violentes, agressives et souvent gratuites. Il est la poursuite d’un tueur en série dont qui coupe systématiquement la main gauche de ses victimes après s’être repues d’elle. Son jeune et nouveau coéquipier, Will, vient d’être engagé dans la police de la ville. C’est un modèle de droiture.

À côté de ça, nous avons ce mystérieux homme que nous ne voyons pas où très peu, et jamais son visage (du moins avant le dernier acte). Nous le découvrons à travers ce qui ressemble le plus à sa compagne. Une fille des rues, Coco (Fish LIEW). Elle vit dans le bidonville d’Hong-Kong. Toxicomane et laissée pour compte, elle est sous la protection de cet homme qui semble évoluer dans le même milieu qu’elle. Un monde fait de désillusion, de survie et de crasse. Cette même crasse qui nous sera servie ad nauseam durant tout le film dont les ordures seront le principal décorum.

Et enfin, nous avons Wong To (Cya LIU), personnage finalement central de ce film. Tout gravite autour d’elle. Voleuse de voiture et vivant, elle aussi, dans la rue, elle a renversé la femme de Lau dans un accident de voiture qui l’a rendu paraplégique et aux portes de la mort. Personnage en quête d’un pardon qui lui offrira la rédemption, elle subira toutes les violences que la ville conjuguée à son milieu peut apporter. Et Soi CHEANG film avec un certain sadisme artistique toutes les mésaventures glauques de la jeune femme.

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Un bijou de narration visuelle…

Si le film peut paraître étrange au premier abord, c’est qu’il commence par un énorme flash-forward qui nous révèle la fin du film. À ce stade, impossible d’en comprendre les clés. Et c’est assez malin de procéder de la sorte. Si les rares dialogues ne nous indiquent pas grand-chose sur la trame, c’est l’esthétique très soignée du film qui nous emporte. Un noir et blanc somptueux, des plans soigneusement étudiés et une photographie incroyable. Le film nous envoûte par sa beauté froide et malsaine. Car le beau des plans n’est pas sans un côté glauque et pesant fortement mis en avant. Ce film nous entraîne dans le bidonville de la ville et y fouillera souvent, très souvent, ses ordures. Au point où nous pourrions presque en sentir la pestilence. Cette beauté crue et violente tranche avec une musique douce et subtile qui, à l’image des dialogues, se fait rare.

Car oui, ce film n’est pas loin d’un film muet. Presque les deux tiers du métrage se déroulent sans dialogue. CHEANG appliquant avec brio le fameux Show, don’t tell cher aux cinéastes de tous horizons. Et pourtant le film est lisible, limpide. Sa narration est parfaitement soignée. Et si l’on peut se sentir perdu dans ce gigantesque labyrinthe urbain, ce n’est que pour en souligner sa froideur et son gigantisme. Un labyrinthe qui fait écho à l’enquête des deux policiers, mais aussi, ET SURTOUT, la psyché de notre antagonisme et de sa lente descente aux enfers.

… Mettant en scène obsession…

OBSESSION. Tous les personnages en ont une qui finit par les ronger. Lau a perdu sa jeune fille et sa femme est paraplégique. Il n’arrive pas à aller de l’avant et est obsédé par la haine qu’il a envers Wong To. Le personnage à qui on ne peut envier le sort tant Lau va s’acharner sur elle. Elle est l’objet de son obsession. Sa vie s’est arrêtée depuis l’accident. Malgré la peine de prison purgée et du fait de son statut, il harcèle le personnage dès qu’il la voit.

Wong To est rongée par la culpabilité. Évoluant dans les milieux “parallèle” au système de la ville, elle n’arrive pas à sortir de sa condition. Elle vivote et survit, mais n’y parvient pas. Elle est obsédée par l’obtention du pardon de Lau…

La lueur d’espoir vient avec Will Yam qui semble être un modèle de droiture venant tout juste d’arriver au commissariat d’Hong Kong. Cependant, il n’arrivera pas à remettre son coéquipier sur les rails, et finira obsédé par la quête de l’assassin et celle de son statut. Un statut qu’il arbore constamment par ses vêtements qui tranchent totalement avec le reste des personnages. Ce statut et son obsession, matérialisé par son emblème, une arme de service égarée dont la recherche compulsive conduira le personnage à sombrer lui aussi dans ses travers.

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… et une ville froide

SI Soi CHEANG aime les grandes villes, ça ne se voit pas du tout dans ce film. Le gigantisme des quartiers pauvres et tortueux frappe de contraste avec le caractère exigu du commissariat. Tout est oppressant dans cette ville où la consommation de masse fait qu’elle n’arrive plus à se débarrasser de ses ordures.

Ces mêmes ordures, comme dit plus haut, sont omniprésentes. Les personnages y évoluent pour certains vivent dedans et vivent grâce à elles. Ces immondices en sur-représentation à l’écran ramènent au dégoût de l’antagoniste pour la ville, dans laquelle il a cherché refuge. Mais ils participent aussi au dégoût nauséeux du spectateur pour toute l’intrigue du film. Sans faire dans la dénonciation grotesque, le film dépeint ce que serait notre société si on la laisse ainsi enfler dans ses travers.

Des scènes d’une dureté crue

Entre les laissé-pour-compte inadaptés que l’on cache dans les quartiers les plus malsains de la métropole, les déchets qui n’ont plus de ramassage où les habitants de cette métropole totalement perdus dans leurs jobs… Tout est fait pour que l’on ait en horreur cette ville dans laquelle la sauvagerie des personnages s’exprime à son paroxysme.

Jusqu’au climax du film où Wong To se retrouve totalement à la merci de l’antagoniste. Totalement abandonnée par les personnages qui l’utilisent comme un pantin pour arriver à leur fin. Une scène difficilement soutenable (qui a failli me faire quitter la salle) mais qui, paradoxalement, sert parfaitement le film.

Pour son dernier film sorti en salle (un autre étant prévu pour les prochains mois), Soi CHEANG nous livre un chef-d’œuvre de narration visuelle avec Limbo. Un film froid, dur, impitoyable qui nous brosse un Hong Kong dystopique. Servi par une mise en scène impeccable et des plans somptueux, ce film allie science parfaitement maîtrisée des codes cinématographiques et images écœurantes parmi les détritus. Ce film est définitivement pour public averti, mais il mérite d’être vu tant, c’est un bijou.

TITRE ORIGINAL : Zhìchǐ
GENRE : Thriller
TECHNIQUE : Prises de vue réelles
DURÉE : 1h58
PAYS : Hong-Kong, Chine
DATE DE SORTIE FR : 12 juillet 2023
RÉALISATION : Soi Cheang
AVEC : Gordon Lam, Mason Lee, Cya Liu
PRODUCTION : Paco Wong, Wilson Yip
DISTRIBUTEUR FR : Kinovista

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