Le détective Jimmy Sangster s’en est fait le serment : il débarrassera Philadelphie des vampires qui l’infectent. Mais alors que la tête pensante des suceurs de sang a été stoppée, son épouse et bras droit lâche une funeste menace sur la ville… Le policier doit alors se donner corps et âme pour tenter de l’enrayer, quitte à côtoyer les morts. Ce soir, la pénombre gagne la ville et les cadavres s’empilent dans les rues de Killadelphie.
DANS LE TOME PRÉCÉDENT…
Killadelphia est un récit qui fonctionne autant sur des courts arcs que sur le long terme. La preuve en est avec ce second tome. Lors du précédent arc, Jimmy Sangster découvrait que les vampires existent et qu’ils ont pour projet de prendre le contrôle du pays, en commençant par la ville de Philadelphie. Leur chef, un ancien président des États-Unis, opérait depuis des décennies dans l’ombre avec sa garde rapprochée, dont sa femme. Celui-ci a fini par être défait et James Sangster par faire la paix avec son fils avant de reposer pour ce qu’il pensait être une éternité.
Par cette histoire, Rodney BARNES nous livrait un récit éminemment politique, mais très bien écrit. Il livrait avec une finesse une belle analyse sur un système politique vieillissant et aux problématiques plus forcément adaptées à une société contemporaine. Il laissait aussi germer la possibilité d’un système libertaire, avec ses dérives potentielles, mais qui pourrait s’avérer être une alternative non moins viable que celui dans lequel nous vivons. Ce sous-texte, sans être envahissant, ne prenait pas le pas sur l’enquête menée par les Sangster. Il permettait de beaux moments d’écriture magnifiés par les traits de Jason Shawn ALEXANDER. Un style graphique qui emprunte notamment à celui de Sean PHILLIPS.
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UN DEUXIÈME ARC ET LA CONFIRMATION D’UN GRAND COMICS
L’attente pour ce second tome a été longue. Le délai de parution entre les deux tomes n’y est pour rien, six mois étant la norme pour une série de comics. Cette attente a surtout été longue, car le récit est intelligent et que l’on se prend à vouloir continuer de suivre l’évolution des personnages principaux. Celle de Jimmy et la relation qu’il entretient avec la collègue de son (presque) défunt père comme la rédemption de James Sangster. Mais particulièrement, comment les vampires vont continuer d’évoluer à Philadelphie.
Ces thématiques trouvent un début de réponse dans ce deuxième tome. Avec une nouvelle enquête sur les bras, Jimmy doit réveiller son père qui était proche de trouver la paix auprès de sa défunte femme. Même si John Adams n’est plus, et à priori définitivement, son idée perdure. Et celle-ci est pervertie par la conception que s’en fait sa femme. Encore une fois, l’analogie avec American Vampire de Scott SNYDER est aisée à faire tant les ponts entre les deux séries sont de plus en plus visibles : une série qui, à travers ses personnages, dresse une évolution de l’Amérique.
Cependant, si le comics de SNYDER ne dressait qu’une évolution somme toute technologique, BARNES nous conte une évolution idéologique et plus politisée. Le premier tome nous narrait sa vision de la politique, le deuxième a pour toile de fond l’esclavage.
Mais tous les lauriers ne reviennent pas au seul Rodney BARNES. Jason Shawn ALEXANDER nous livre des planches toutes aussi belles que sur le premier tome. À la différence près que, sur ce tome, son style se rapproche plus de celui de Bill SIENKIEWICZ. La consécration est d’ailleurs là puisque le dessinateur de génie vient encrer quelques planches de ce tome.
À noter aussi la présence de back-up en quasi-quadrichromie qui ajoute une belle profondeur au récit ainsi que des pistes pour les tomes à venir. Ce tome-ci reprend les épisodes 7 à 12 de la série qui a entamé son 5ᵉ arc aux USA. Cela promet une belle collection et des intrigues toujours aussi passionnantes à l’avenir.
UN CONTEXTE SOCIO-POLITIQUE COMME SOURCE D’INSPIRATION ?
Pour une analyse pertinente de ce tome, il convient de dresser un portrait socio-politique de ce début de décennie et de revenir sur un évènement sordide qui a fait grand bruit à la fin du premier semestre 2020. George FLOYD décède suite à une arrestation violente de la part de la police de Minneapolis. Les États-Unis s’embrasent et le mouvement Black Lives Matter, créé en 2013, est fortement mis en avant.
Rodney BARNES est un homme concerné par ces soucis sociologiques. Afro-américain, il a eu à cœur de parler de sa communauté à travers ses œuvres. Que ce soit à la télévision avec Tout le monde déteste Chris et surtout Arc of Justice ou dans les comics avec Birth of a Patriot, un épisode spin-off à Secret Empire de Marvel centré sur Sam Wilson.
De par son engagement, il était inévitable que BARNES traite de ce sujet dans Killadelphia. Mais c’est fait intelligemment et sans manichéisme. Et plutôt que de dresser un portrait d’un afro-américain moderne contre des blancs, l’auteur parle d’un esclave et de sa condition aux aurores du pays américain sous les pères fondateurs. Une façon très intelligente de parler du problème ethnique qui n’a jamais été vraiment résolu aux États-Unis.
LES PERSONNIFICATIONS D’UNE CRISE
C’est là tout l’art de l’auteur : utiliser un esclave vampirisé et avec une société de l’ombre de plus en plus concernée par les soucis d’une communauté. Il s’en sert pour dresser un bilan plus factuel d’une grogne de plus en plus audible.
À travers le destin croisé de deux personnages, BARNES relate les conditions sociales et les liens impossibles à nouer pour deux êtres vivants sur les mêmes terres, mais pas dans le même monde. Nous avons d’un côté le jeune John Adams et de l’autre le jeune fils d’un esclave, destiné à ne pas sortir de sa condition. Sa rage, sous la plume de l’auteur, se fera de plus en plus violente et brossera par la même occasion la colère du peuple afro-américain du début du 21ᵉ siècle.
Mais il n’épargne pas non plus sa propre communauté. Comme dit plus haut, le récit n’est pas manichéen et montre que les vautours existent des deux côtés de l’échiquier. Ainsi, la société secrète qui tente de reprendre le contrôle après la défaite d’Adams voit des personnages tenter de tirer profit des épreuves subies par certains de ceux qu’ils sont censés représenter. Même s’ils sont manipulés par la veuve Adams, ils n’en restent pas moins dépeints avec une certaine noirceur.
Killadelphia 2 est donc encore un excellent tome. Sous couvert d’un récit fantastico-horrifique, l’auteur nous livre une critique de la société américaine, que ce soit sous un angle politique comme pour le premier tome ou bien sociologique comme avec ce deuxième volume. Un récit passionné et passionnant qui arrive à mêler propos intelligent et intrigue de première lecture palpitante. Un incontournable.
TITRE ORIGINAL : Killadelphia: Burn, Baby Burn
GENRE : Fantastique, Horrifique, Thriller
PAYS : USA
ÉDITEUR ORIGINAL : Image Comics
AUTEUR : Rodney Barnes
ILLUSTRATEUR : Jason Shawn Alexander
ENCREUR : Bill Sienkiewicz
COLORISTE : Luis NCT
ÉDITEUR FRANÇAIS : Huginn & Muninn
Killadelphia : © 2021 Rodney Barnes et Jason Shawn Alexander. Tous droits réservés.