Laurel, un jeune golden boy mélancolique, tente de mettre fin à ses jours en s’enfonçant dans l’océan pour rejoindre dans la mort celle qu'il aime. Mais lorsque ce dernier rouvre les yeux, il se retrouve coincé dans une étrange cité du XIXe siècle coupée du monde depuis cent cinquante ans...
Aux portes de la folie
Si Alice in Wonderland est un roman qui nous pousse aux portes d’un trip sous LSD, Bunkerville pousse le concept plus loin en nous amenant aux portes de la folie. Le deuil de Laurel ne se fait pas depuis la perte de sa compagne Elie. Il plonge alors dans un autre monde, le monde d’origine d’Elie. Difficile d’en raconter plus sans spoiler l’histoire.
Car Bunkerville se lit vite. Très vite. C’est une histoire complète en quelques 160 pages qui nous raconte une histoire qui nous perd autant qu’elle nous fascine. Malgré un rythme effréné, Pascal Chind et Benjamin Legrand arrivent à donner une cohérence à l’univers et à l’étoffer. Au point ou la révélation finale arrive à surprendre malgré la logique de cette conclusion.
Mais avant d’en arriver à cette conclusion, nous allons rencontrer toute une galerie de personnages tous aussi étranges les uns que les autres. D’une Cour de Justice expéditive à un maire sanguinaire et avide de pouvoir. Tous donnent du corps à ce monde étrange et malade.
Un trait et des couleurs parfaites
Ce qui frappe le plus à la lecture de ce tome est le dessin. Le style de Bilal est une inspiration forte. Cependant, Vincenzo Balzano y donne une touche éthérée. Les personnages sont tantôt fantomatiques, tantôt aux proportions démesurées par rapport à la réalité dans laquelle Laurel évolue. Et les couleurs, dans des tons très clairs, aident fortement à donner cet esprit éthéré aux dessins. Ce côté fantomatique sert totalement le propos du récit qui amène vers le twist final. Un twist que l’on ne voit pas forcément venir.
Toutefois, le décor très steampunk fait que la comparaison avec Bilal s’arrête aux seuls personnages et encrages. Car ce steampunk ne s’ancre pas dans le réel, mais dans l’onirique. Les édifices sont tordus ou n’ont aucune raison logique de se trouver sur certains emplacements. Imaginez ce que donnerait Bilal s’il avait dessiné Alice aux pays des merveilles avec une ambiance entre Edward Scissorhands et Mad God de Phil Tippett, le côté gore et sale en moins. Car dans cet univers, l’imagerie steampunk est totalement onirique. Si l’on reprend les codes de l’architecture, de la mode vestimentaire du XIXe siècle, on reste totalement dans un univers ne semblant pas réel. Ce qui permet de se sentir tout aussi perdu dans ce monde de fou que Laurel.
Une narration efficace
Comme mentionné plus haut, ce titre se lit très rapidement. Le texte est très peu présent, ce qui aide totalement à l’esprit de malaise que peut ressentir Laurel à l’arrivée dans Bunkerville. Le plus gros des dialogues se situe surtout dans notre univers pour donner une part d’exposition. L’action quant à elle reste dans cette ville et n’a que peu de dialogues. Cela renforce la sensation d’incompréhension quant à cette ville et nous permet de ressentir ce que ressent Laurel. La plupart des planches sont contemplatives et permettent d’admirer le travail formidable de Vincenzo Balzano. Que ce soit dans le trait de ses personnages où presque tous en dehors d’Eli sont sombres, ternes ou difformes.
Bunkerville © Ankama Editions 2024
Mettre en avant la sensation de malaise
Bunkerville allie avec brio la narration visuelle aux textes, renforçant l’aspect cryptique de ce monde. Et quoi de mieux pour rendre un univers cryptique que d’en donner un minimum d’information. Très peu d’indices quant au fonctionnement de Bunkerville, en dehors de ce qui est nécessaire pour amener au twist final. Le fait que tout se concentre sur l’action donne un rythme soutenu qui permet aussi de ressentir l’atmosphère malsaine de ce monde. Dès les premières pages à Bunkerville les auteurs font tout pour que l’on ressente des menaces perpétuelles. Emprisonnement, décapitation, police corrompue, parodie de justice. Rien ne va plus, et ce tout au long de la lecture. Et quand la révélation arrive, tout prend sens pour le plus grand plaisir du lecteur qui aura envie de relire immédiatement ce tome pour voir des éléments qui nous permettrait de comprendre ce twist.
Pour sa première bande dessinée, Pascal Chind écrit à quatre mains avec Benjamin Legrand et fait appel à Vincenzo Balzano pour les dessins. Les trois nous offrent avec Bunkerville un récit prenant, cryptique, mais perturbant. Un récit dont le twist final ne laissera pas indifférent et marquera totalement son lectorat. Un titre à lire tant pour le scénario que les planches magnifiques de Balzano.
TITRE ORIGINAL : Bunkerville
GENRE : Fantastique, Science-fiction
PAYS : France
AUTEUR : Pascal Chind, Benjamin Legrand
ILLUSTRATEUR : Vincenzo Balzano
ÉDITEUR : Ankama
Bunkerville © Ankama Editions 2024