Arles, sud de la France, fin du XIXe siècle. Serge Battour est le fils d’un riche vicomte et d’une belle Tzigane. Malgré ses talents académiques ainsi que son caractère doux et aimable, il est méprisé par ses camarades en raison de sa couleur de peau. Alors qu’il étudie au prestigieux Institut Lacombrade, il est fasciné et attiré par son camarade, Gilbert Cocteau, un garçon d’une grande beauté, qui entretient des relations avec les autres élèves et n’est autre que le jouet de son oncle manipulateur, Auguste.
Le destin de deux adolescents dont le quotidien sera jonché de vices et de péchés de la société classiste, raciste et homophobe dans laquelle ils vivent.
💡Nous souhaitons informer nos aimables lecteurices que ce manga traite de manière assez crue – par moments – de sujets extrêmement difficiles tels que – entre autres – la pédophilie, les violences sexuelles, l’homophobie et le racisme. Il n’est donc pas à mettre entre toutes les mains.💡
Après Destination Terra, les éditions naBan continuent d’explorer le travail de Keiko Takemiya, figure emblématique du manga, et en particulier le shôjo, avec la publication du Poème du vent et des arbres dès le 11 Juillet 2025 dans nos contrées. Ce titre, qui a commencé sa publication en 1976, fait partie de ces œuvres qui ont inscrit Takemiya comme pionnière dans le shôjo et le BL, et ce jusqu’à aujourd’hui.
Des thèmes (tristement) contemporains

© 1976 Keiko Takemiya
La première émotion qui nous traverse après la lecture de ces deux premiers tomes est l’épuisement émotionnel, tant on ne nous épargne pas au fil de notre lecture. Entre l’atmosphère malsaine amenée par certains personnages, les dégâts mentaux et physiques dévastateurs des abus, de la violence et du harcèlement subis par d’autres… On ne peut pas rester de marbre devant ce récit qui, malgré cette noirceur, parvient à capter notre attention du début à la fin de ces deux tomes.
À vrai dire, la seule chose qui “trahit” la période de sortie du manga est le style de dessin, assez caractéristique des années 70/80. Pour le reste, le Poème du vent et des arbres peut très bien se lire en 2025. Si on ose espérer que les pensionnats catholiques de France sont plus sains que dans l’œuvre, les lecteurices y trouveront une manière très audacieuse de traiter les horreurs et traumatismes infligés à certains adolescents. Mais on y trouve aussi un peu de répit, via notamment le personnage innocent (mais pour combien de temps ?) de Serge Battour. Son lien avec Gilbert – personnage aussi déroutant que fascinant – se développe lentement mais sûrement, et semble nous promettre de voir la lumière au bout du tunnel.
La seconde émotion qui nous traverse est la stupéfaction, car si en 2025, publier ce genre de récit relève du parcours du combattant, comment Keiko Takemiya a-t-elle pu réussir à publier cette œuvre en 1976 ? Qui plus est, dans un magazine qui n’était certainement pas connu pour traiter les thèmes du Poème du vent et des arbres ? Cela n’est qu’une preuve parmi d’autres de son talent indéniable. À ce propos, nous vous recommandons de lire les préfaces signées Ariane Even, qui permettent de recontextualiser l’œuvre, les choix narratifs et thématiques, ainsi que certaines inspirations de l’autrice (vous trouvez que Gilbert ressemble beaucoup à Björn Andrésen ? Ce n’est peut-être pas un accident.).
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Un style extra-sensoriel

© 1976 Keiko Takemiya
A l’instar de la fascination de Serge pour Gilbert dès leurs premières interactions, nous pouvons difficilement détourner le regard du style de dessin de Takemiya tout au long de l’œuvre. En effet, nous pourrions décrire les choix stylistiques comme “extra-sensoriels”, tant les effets ajoutés sur les planches décuplent les émois des personnages. Ces effets pourraient donner l’impression de lire une fantaisie, mais ce choix semble délibéré de la part de l’autrice.
D’autres éléments symboliques intégrés à la mise en scène contribuent à nous immerger dans l’ambiance si particulière de ce pensionnat à Arles et dans l’état d’esprit de nos personnages en général. Après tout, à l’adolescence, tout semble plus intense. En ce sens, ces choix sont une excellente manière de nous transmettre sur le papier ce que traversent les personnages, notamment nos protagonistes Serge et Gilbert, tout en nous aiguillant sur les (més)aventures qui les attendent.

Véritable monument du manga, Le Poème du Vent et des Arbres est une lecture éprouvante ET gratifiante. Si vous vous sentez capables de tenter l’aventure, cette œuvre vous fera encore plus apprécier le talent de Keiko Takemiya et son influence indéniable dans le milieu du manga, en particulier du shôjo et du BL.

© 1976 Keiko Takemiya
TITRE ORIGINAL : Kaze to Ki no Uta / 風と木の詩
GENRE : Drame, Historique
TYPE : Manga
PAYS : Japon
AUTEUR : Keiko Takemiya
ÉDITEUR ORIGINAL : Hakusensha, Shogakukan
ÉDITEUR FRANÇAIS : naBan éditions
PRIX : 13€/tome pour l’édition simple, 15€/tome pour l’édition spéciale
© 1976 Keiko Takemiya









