The Good Asian : La synthèse du polar

1936, Edison Park exerce le métier de détective à New York. Ce sino-américain est depuis des mois hanté par les crimes d’un tueur sévissant dans sa ville et plus particulièrement à Chinatown. Entre les cadavres et les soucis liés à l’immigration chinoise, son investigation va le conduire bien plus loin que prévu…


The Good Asian est une série de bandes dessinées écrite par Pornsak Pichetshote et dessinée par Alexandre Tefenkgi. Elle a été publiée par Image Comics en 2021 aux États-Unis et édité en France par Komics Initiative. C’est un polar noir se déroulant en 1936, mêlant intrigue criminelle, commentaire social et exploration de l’identité asiatique en Amérique. Nous vous proposons une plongée dans cet incroyable récit.

Un polar Noir…

Edison Hark, un détective sino-américain d’Honolulu, se retrouve convoqué à San Francisco par Mason Carroway, le patriarche d’une riche famille blanche, pour enquêter sur la disparition d’Ivy Chen, une femme de ménage chinoise qui travaillait pour eux. Edison est proche des Carroway. Sa mère adoptive travaillait pour eux, et Mason l’a élevé comme un fils après la mort de ses parents biologiques. L’enquête d’Edison le mène au cœur des secrets sombres de la famille Carroway mais aussi dans les ruelles de Chinatown, où il découvre un réseau complexe de corruption policière, de crimes organisés et de tensions communautaires.

Comme dans tout bon polar qui se respecte, l’histoire met en lumière la corruption omniprésente dans les institutions, notamment dans les forces de l’ordre, qui exploitent et oppriment les populations marginalisées. Edison découvre alors que ceux qui détiennent le pouvoir se compromettent par leurs propres ambitions (peu importe leurs origines). Tout au long des dix épisodes qui composent la série, l’ambiance lugubre est visible et travaillée avec une minutie impressionnante. L’ensemble du travail artistique se complète par la colorisation de Lee Loughridge. Elle permet d’installer des atmosphères totalement différentes en fonction des endroits que l’on découvre. Le bleu, le jaune, le rouge et le vert pour dépeindre la nuit de San Francisco et des couleurs beaucoup plus chatoyantes pour les flashbacks se déroulant à Honolulu.


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Rappelant des œuvres polar majeures tels que les romans de James Ellroy, The Good Asian ne cesse de se renouveler dans son intrigue grâce à de nombreux rebondissements souvent imprévisibles ; mais aussi par des relations entre tous les personnages qui sont toujours à la limite du suspicieux. Le sentiment de culpabilité est le cœur de l’œuvre. Chaque personnage est coupable de quelque chose : mensonge envers soi-même, mensonge envers les autres, meurtre, discrimination, homophobie. Personne ne se voit épargné dans cette histoire réaliste voulant vous montrer que le mal n’est qu’un point de vue individuel.

L’enquête sur la disparition de la femme de ménage et les meurtres dans le quartier de Chinatown prennent leurs temps. Pour autant, le propos de The Good Asian va bien au-delà de la résolution d’une affaire criminelle…

… servant une photographie historique et sociale

L’histoire se place dans l’ombre de la loi d’exclusion des Chinois de 1882 qui a non seulement interdit l’immigration chinoise, mais qui marginalise également les communautés asiatiques aux États-Unis. Cette loi s’explique en raison de la crise économique que connaissent les États-Unis quelques années auparavant et dont la responsabilité incombe aux populations asiatiques qui sont accusées de faire baisser les salaires des travailleurs américains. Les asiatiques sont déshumanisés, considérés comme des citoyens de seconde zone et constamment surveillés. En effet, Edison, en tant que détective sino-américain, se voit confronté a des préjugés raciaux de la part de ses collègues policiers et de la société blanche en général tant bien que les autorités le présente comme le « bon asiatique » qui respecte les règles, mais cette étiquette renforce la pression sur lui et alimente son conflit intérieur.

Véritable photographie historique, le récit commence alors par le passage du protagoniste à Angel Island qui est le lieu d’accueil pour les migrants de l’océan Pacifique. Elle constitue la deuxième plus grande île de la baie de San Francisco, qui a la même fonction qu’Ellis Island pour New-York. Les conditions de vie de ces nouveaux arrivants sont dépeintes avec froideur et réalisme malgré un trait légèrement cartoonesque. Tout au long du récit, la question sociale et culturelle est omniprésente que ce soit au travers du détective ou des environnements qu’il côtoie : tout est fait pour montrer la pression sociale et les préjugés sur la communauté chinoise au travers des institutions, de la population, des forces de l’ordre ; à travers des dialogues parfois assez durs ou bien par le dessin montrant des regards ou des gestes parfois cruels.

Focus sur les auteurs

Pornsak Pichetshote est un scénariste et éditeur de bandes dessinées. Il est connu pour son travail dans des œuvres mêlant fiction et commentaires sociaux. Né en Thaïlande, il a grandi aux États-Unis, où il s’immerge dans la culture pop, notamment les bandes dessinées. Pichetshote travail d’abord comme éditeur chez Vertigo Comics, une division de DC Comics dédiée aux récits adultes et expérimentaux. Il supervise alors des séries emblématiques comme Sweet Tooth de Jeff Lemire.  

En tant qu’auteur, il se fait connaître en 2018 avec Infidel, une série d’horreur psychologique co-créée avec l’artiste Aaron Campbell. Infidel mêle des thèmes surnaturels avec des commentaires sur le racisme, l’immigration et la peur de l’Autre. Ce roman graphique reçoit un accueil critique élogieux et place rapidement Pichetshote parmi les écrivains les plus prometteurs de l’industrie. En 2021, il poursuit avec The Good Asian, une série policière saluée pour son exploration de l’identité asiatique et du racisme dans l’Amérique des années 1930. Ce projet est le fruit de recherches historiques approfondies et reflète une sensibilité particulière aux dynamiques sociales complexes. Pichetshote reçoit plusieurs prix dans le monde des comics, notamment pour Infidel et The Good Asian. Ce dernier remporte d’ailleurs un Eisner Award en 2022 pour la Meilleure série limitée.

Alexandre Tefenkgi est un artiste et dessinateur de bande dessinée franco-vietnamien, reconnu pour son style expressif et détaillé. Il collabore sur de nombreux projets dans les domaines de la bande dessinée européenne et américaine tels que Once Upon a Time at the End of the World avec Jason Aaron. Il se distingue par son talent pour donner vie à des histoires riches en émotions et en dynamisme. D’origine franco-vietnamienne, Alexandre Tefenkgi apporte à son travail une sensibilité culturelle qui enrichit ses créations artistiques.

Un véritable coup de cœur pour cette publication financé sur Ulule pour la France grâce à Komics Initiative. The Good Asian est un récit qui ne vous prend pas par la main. Il demande du temps et de la réflexion afin de pouvoir atteindre la quintessence de ce que peut proposer un polar noir : un récit extrêmement riche à la limite de la perfection.

TITRE ORIGINAL : The Good Asian
GENRE : Polar
PAYS : États-Unis
ÉDITEUR ORIGINAL : Image Comics
AUTEUR : Pornsak Pichetshote
ILLUSTRATEUR : Alexandre Tefenkgi
COLORISTE : Lee Loughridge
ÉDITEUR FRANÇAIS : Komics Initiative
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Konata Nekoyama aime

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