Dinner for vampires : non, ça n’arrive pas qu’aux autres

💡Nous souhaitons informer nos aimables lecteur.ices que Dinner for vampires évoque des sujets difficiles tels que les sectes religieuses (avec les abus/l’emprise que cela implique), les violences conjugales, les violences sexistes et sexuelles ainsi que la dépression et le stress post-traumatique.

Par ailleurs, le livre a été lu en Anglais et – à l’heure où nous écrivons ces lignes – non publié en Français. Ainsi, le synopsis et les extraits cités dans cette critique ont été traduits par Strangie – qui maîtrise la langue de Shakespeare mais pas (du tout) l’art de la traduction professionnelle.💡

Au début des années 2000, après de longues années de travail acharné pour percer en tant qu’actrice, Bethany Joy Lenz décrocha l’un des rôles principaux dans la série à succès One Tree Hill (Les Frères Scott en VF). Sa carrière était sur le point de prendre son envol, mais sa vie personnelle commençait lentement à se détériorer. Ce que personne ne savait, y compris ses collègues, c’est qu’elle menait une double vie. En tant que membre d’une secte.

En tant qu’enfant unique souvent livrée à elle-même, elle avait toujours été en quête d’un sentiment d’appartenance. Lenz trouva le refuge qu’elle recherchait dans un groupe d’étude biblique avec d’autres artistes Hollywoodiens. Cependant, ce groupe se transforma rapidement en quelque chose de plus sinistre. Se forma alors une toile de manipulation, d’abus et de peur, dissimulée sous l’apparence d’un groupe religieux appelé The Big House Family.

Peu à peu, Lenz commença à perdre son autonomie, allant jusqu’à s’installer dans les locaux du groupe dans le nord-ouest du pays. Ce groupe, dirigé par un pasteur autoritaire, la convainquit d’épouser l’un de ses fils. Le tout, en siphonnant des millions de dollars de ses revenus d’actrice à son insu. Des « surveillants » lui étaient assignés sur les plateaux, des réunions inspirées des « séances de lutte maoïstes » dans le sous-sol d’une maison sale, et des conseils réguliers avec la “Direction” faisaient partie des tactiques utilisées pour maintenir sa loyauté.

Ce n’est que lorsqu’elle est devenue mère que Lenz a trouvé le courage de partir pour épargner à son enfant un sort similaire. Après près d’une décennie (et avec l’aide improbable d’une super-fan de One Tree Hill), elle a finalement réussi à échapper à l’emprise de la “famille” et à commencer à guérir du traumatisme profond qui a changé à jamais sa relation avec Dieu et sa compréhension de la foi.

Vous la connaissiez peut-être en tant qu’Haley James Scott de la série One Tree Hill (Les Frères Scott en VF). Vous aviez probablement eu vent (ou pas) des rumeurs de son appartenance à une secte durant ses années sur la série. Il est temps maintenant de lire l’histoire de Bethany Joy Lenz – qui préfère être appelée “Joy”. Avec ses propres mots.

UN TRAVAIL DE PRÉVENTION NÉCESSAIRE

Il n’existe pas assez d’insultes dans le dictionnaire pour décrire ce que nous pensons des sectes et des techniques insidieuses de manipulation qui les caractérisent.

Pour commencer, ce qui dénote de la lecture du livre est que la secte a beaucoup utilisé les faiblesses/peurs de Joy contre elle. Nous pouvons citer, notamment, son besoin viscéral d’appartenir à une communauté, dû à une solitude chronique. De plus, les chef.fes de file de ce “groupe” sont décrits comme extrêmement doués pour culpabiliser et isoler leurs membres et ce, via une instrumentalisation des textes religieux, comme le feraient des extrémistes (ce qu’ils sont). Imaginez cela appliqué à une personne jeune qui n’a pas eu l’occasion de développer son esprit critique ; et voilà. Vous obtenez le repas idéal d’un “vampire“.

La narration est très fluide. Ainsi, tout comme son autrice, nous ne comprenons la situation qu’à un stade avancé du récit. Joy Lenz s’est retrouvée prise au piège dans une arnaque de longue haleine. Bien entendu, un.e lecteur.ice qui se méfie des groupes très (trop) portés sur des checklists religieuses peut comprendre cela très tôt dans le récit.

Enfin, nous souhaitons donner une mention spéciale au format audiobook, lu par Lenz elle-même. À travers cette lecture, elle (re)démontre toute l’étendue de son talent de conteuse et, par moments, de chanteuse.

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UN PROCESSUS DE GUERISON CONTINU

Les chapitres narrant sa prise de conscience et son combat post-libération (appelons un chat un chat, c’est une libération) sont peu nombreux. Ils n’en sont pas moins fascinants. L’entourage familial et amical en-dehors du “groupe” est crucial dans ces situations, cela apparut évident durant notre lecture. Le récit de ses retrouvailles emplies d’émotion avec ses parents et certain.e.s de ses ami.e.s proches, qui ont toujours su que la “vraie” Joy reprendrait ses esprits, en est le meilleur exemple.

Elle fut endoctrinée durant des années charnières de sa vie d’adulte (toute sa vingtaine en fait), aussi bien physiquement qu’émotionnellement. Par conséquent, le travail de déprogrammation reste long et difficile. Son salut est visiblement dans la création. C’est une artiste dans l’âme, cela est criant tout au long de notre lecture. Aujourd’hui, elle continue de cultiver sa créativité et son esprit critique via des travaux comme le journal Modern Vintage News. De son propre aveu, il y a encore du travail, mais nous saluons les efforts.

Son rapport à la spiritualité en général, à travers les années, est tout aussi fascinant. Nous nous doutons que se déprogrammer de certaines valeurs (trop) conservatrices n’est pas aisé. Heureusement, elle semble avoir progressé sur ce point. Ce qui compte n’est pas une “checklist” en échange d’une belle vie mais plutôt de faire de son mieux au jour le jour pour devenir quelqu’un de bien, progresser et avoir de l’empathie pour son prochain. À l’image du personnage de Tahani dans The Good Place, une des leçons à retenir est que certaines bonnes actions sont admirables. Mais elles seront contre-productives si vos intentions sont égocentriques. À l’écouter dans ses différentes interventions, que ce soit dans le podcast Drama Queens ou ailleurs, cela semble être sa philosophie actuelle et les progrès sont là.

ET LES FRèRES SCOTT DANS TOUT CA ?

Mettons les choses au clair, notamment au regard de certaines rumeurs : cette série N’EST PAS le sujet principal du livre. Certes, certaines anecdotes de production sont mentionnées pour le contexte, dans le but de servir le récit. Donc si on est fan de la série, ces moments sont intéressants à lire en eux-mêmes. Néanmoins, le sujet de bout en bout est le parcours initiatique de Joy Lenz durant cette période de sa vie.

À ce propos, il est difficile par moments de ne pas être prodigieusement agacé par l’industrie du divertissement. Pourquoi ? Alors, il ne s’agit ici que du ressenti de la personne écrivant ces lignes :

• En se basant sur les événements narrés, ses collègues étaient inquiets et inquiètes pour son bien-être et sa sécurité. Cela se traduisait par des expressions faciales et des messes basses. Il y aurait eu, certes, des réunions secrètes pour construire un plan d’action. Ce dernier ne s’est pas concrétisé. Elle se décrit comme “extrêmement têtue” et “convaincue” par le “groupe” à l’époque. Enfin, elle est sortie de la secte après la fin de la série. Cela dit, l’autrice de ces lignes a eu pour réaction “mais faut la kidnapper, là ! Elle est endoctrinée jusqu’à la moelle, il faut utiliser la manière forte !” (C’est l’émotion.) Certain.es furent accueillant.es et ouvert.es après son auto-libération. Mais justement, c’était après.
• C’est extrêmement hypocrite de la part de professionnels du milieu d’ostraciser une personne qui a clairement besoin d’aide alors qu’ils se laissent gangréner par une “Eglise” bien connue et reconnue comme une secte depuis 1995, du moins en France. Vous savez de quelle secte nous parlons, ils ont un “celebrity center” en plein Manhattan.

D’un autre côté…

• Quelques personnes font figure d’exception cela dit, comme Paul Johansson, Craig Sheffer, Daphne Zuniga, Allison Munn et bien sûr : les parents de Joy Lenz.
• Nous n’avons pas assisté aux événements narrés. Évidemment.
• Certaines choses ont été passées sous silence, pour des raisons légales et/ou pour respecter le souhait des personnes impliquées.
• Il s’agit d’événements prenant place entre le milieu des années 1980 et la fin des années 2010, donc Joy Lenz ne peut pas se souvenir de tout. Elle n’est pas non plus omnisciente : on rappelle qu’elle s’est en partie appuyée sur des passages de ses journaux intimes et d’autres témoignages. Par ailleurs, le traumatisme rend le travail de mémoire éprouvant.
• Elle avait seulement 320 pages à disposition.
• Chacun.e était pris.e par ses propres problèmes et/ou n’était pas assez informé.e.
• Les Frères Scott a clairement été crucial pour entamer le processus de sortie de la secte et de “déprogrammation”. Le tournage de la série lui permettait de garder un semblant d’autonomie neuf mois par an, d’entretenir sa créativité et surtout : de lui rappeler qui elle est.

Aujourd’hui, nous ne pouvons qu’apprécier les leçons apportées par Dinner for vampires, afin de ne pas soi-même devenir le prochain repas de l’un desdits vampires.

Superbement écrite et narré, cette autobiographie est une lecture – ou écoute, son format audiobook est excellent – nécessaire. Que vous connaissiez l’actrice ou non a peu d’importance, car le sujet du livre nous concerne tous et toutes. Ainsi, ne sous-estimez jamais les techniques de manipulation, surtout lorsqu’elles touchent à vos peurs les plus profondes. Joy Lenz, si vous nous lisez : nous saluons votre courage et vous souhaitons le meilleur !