Damien, étudiant à la dérive, accepte un emploi dans un relais de chasse tenu par deux malfrats locaux. Ces derniers utilisent leur domaine pour couvrir des activités illégales où jeux d’argent et prostitution se mêlent. Suite à la disparition d’une escort, Damien s’engouffre dans une spirale de règlements de comptes.
Après son précédent long-métrage, La troisième guerre (2020), qui s’est offert un passage à la Mostra de Venise, le cinéaste italien, Giovanni Aloï marque son retour avec Le Domaine. Polar choc et glaçant avec un Félix Lefebvre qui fracasse l’écran, retour sur cet excellent long-métrage, très librement inspiré du fait divers de la Tuerie de Belhade (1985).
Félix Lefebvre dans la peau d’un étudiant paumé
L’histoire nous entraîne au cœur de Saint-Nazaire, où nous suivons le jeune Damien (interprété avec brio par Félix Levebvre) un lycéen perdu. Sans réellement d’attache, à l’exception de son job étudiant dans un restaurant de burger de quartier. Un établissement plutôt calme, tenu par un certain Malaury (l’excellent Patrick D’Assumçao). Se présentant, à première vue, comme un gérant un peu douteux. Mais de fil en aiguille, ce dernier va se révéler être à la tête d’un Domaine de chasse très fermé. Une sorte de club où les bourgeois fortunés payent des fortunes pour chasser du gibier, coucher avec des étudiantes paumées et tirer au paintball sur ces dernières à travers des parties de chasse à l’homme moralement douteux… Et bien sûr jeux d’argents et magouilles en tous genres.
Au fil du récit, nous suivons un personnage d’un tempérament plutôt discret, assez détaché de ce monde, qui va crescendo, y évoluer en une sorte de caïd un peu protecteur. Pris sous l’aile faussement protectrice de Malaury, nous assistons presque avec voyeurisme à l’endoctrinement de Damien : de cuisinier, barman à chauffeur privé, puis responsable des armes de chasse du Domaine… (une sorte d’homme à tout faire) Notre protagoniste s’enfonce peu à peu dans cette débauche, avec ses aires de petits caïds, jusqu’à ne plus pouvoir faire machine arrière.

Un polar sombre et glaçant
Clairement, avec Le Domaine, Giovanni Aloï signe un pur polar sombre et glaçant. Le genre de récit sauvage qui n’épargne ni nos protagonistes, ni le spectateur. De fil en aiguille, notre histoire, narrée par Damien sous la forme d’un ressassement de souvenirs, s’assombrit en suivant à la fois, son ascension à sa chute inévitable, ainsi que les tensions naissantes avec Malaury et la jeune Daria (Lina-Camélia Lumbroso), en charge de la gestion des jeunes étudiantes/escorts du Domaine. De la première à la dernière seconde, Giovanni Aloï nous tient en haleine à travers une narration prenante et particulièrement solide, le tout porté par des personnages crédibles et une mise en scène maîtrisée, jonglant entre les codes du thriller mafieux à la Scorsese et le contemplatif.
À lire aussi : Piégé : Un thriller percutant à quatre roues
Le Domaine se démarque également par sa narration volontairement rétro et quasi-littéraire, qui ne se concentre pas sur le présent, mais sur le passé à travers la voix off de Damien. Un procédé qui nous permet de plonger plus facilement dans la psychologie de notre protagoniste, et de renforcer cet aspect subjectif dans la mise en scène. En effet, le cinéaste prend ici un soin particulier à tout nous montrer sous le point de vue de Damien (comme une sorte d’histoire contée en “POV”), ou du moins à mettre en images, à travers son imagination, des éléments clés de cette histoire passée. Un choix particulièrement pertinent qui permet, en plus de rester dans le réalisme du propos, de laisser ainsi parler une certaine fantaisie à travers la mise en scène et l’imagerie globale du film.

D’une grande ingéniosité visuelle
L’autre force du Domaine réside également dans sa réalisation. Le cinéaste exploite avec brio les codes narratifs et de mise en scène d’un drame/polar mafieux classique en y ajoutant une véritable touche onirique, voire poétique à travers des propositions de mise en scène et de compositions de plans, qui ne viennent pourtant jamais alléger le propos. En effet, Giovanni Aloï utilise intelligemment les décors urbains de Saint-Nazaire pour ajouter une double lecture visuelle à son film. On pense notamment au Pont de Saint-Nazaire, utilisé pour accentuer la montée crescendo des tensions entre nos protagonistes. Ou encore le port de commerce aux jeux de couleurs particulièrement romantique à base de cadre dans un cadre ou plus marquant encore, la forêt de paintball où le cinéaste y laisse pleinement parler sa mise en scène onirique à travers un remarquable travail sur les couleurs… Comme un rêve (jusqu’au cauchemar de la réalité).
Outre le travail sur les cadres, Le Domaine est clairement porté par le talent de son casting. Après Été 85, Félix Levebvre démontre encore une fois qu’il n’a plus rien à prouver vis-à-vis de son talent. Patrick D’Assumçao y est également excellent en margoulin peu scrupuleux qu’est Malaury. Et bien sûr, les superbes Lina-Camélia Lumbroso et Lola Le Lann qui ne sont pas en reste dans la qualité de ce long-métrage. Porté par un dynamisme particulièrement nerveux et constamment sous tension, on se laisse embarquer jusqu’au climax final choc et une séquence finale, particulièrement intense et jubilatoire.


Toujours choc, parfois dérangeant, mais jamais gratuit… Giovanni Aloï signe avec Le Domaine, un long-métrage douloureux, nerveux et dynamique… Voire presque politique, qui dénonce cette jeunesse paumée entre prostitution et mafia. Avec une réalisation à la Scorsese et une direction artistique contemplative et particulièrement onirique, Le Domaine se présente comme un polar qui casse les codes, le tout, porté par un duo Félix Lefebvre / Patrick D’Assumçao qui fracasse l’écran, et qui nous offre un climax et une séquence finale d’anthologie.
TITRE ORIGINAL : Le Domaine
GENRE : Polar
TECHNIQUE : Prise de vues réelles
DURÉE : 1h31
PAYS : France
DATE DE SORTIE FR : 14 mai 2025
RÉALISATION : Giovanni Aloi
SCÉNARIO : Sébastien Gendron, Dominique Baumard, Giovanni Aloi, Thierry Lounas et Claire Bonnefoy
AVEC : Félix Lefebvre, Patrick D’Assumçao, Lola Le Lann et Lina-Camélia Lumbroso
PRODUCTION : Capricci et Wild West
DISTRIBUTEUR FR : Capricci