Tokyo, début des années 1940. Tetsuko, que tout le monde appelle Totto-chan, est une petite fille pleine de vie qui mène la vie dure à son institutrice, qui finit par la renvoyer. Ses parents décident de l’inscrire à Tomoe, une école pas comme les autres où de vieux wagons font office de salles de classe. Son directeur y met l'accent sur l'indépendance et la créativité des enfants. Tandis que le Japon s'enfonce dans la guerre, Totto-chan va découvrir que les petites expériences de la vie sont plus importantes que les leçons.
Parce que parfois, pour regarder vers l’avenir, il faut savoir revenir en arrière. Audacieux biopic signé Shinnosuke Yakuwa, le long-métrage Totto-chan, la petite fille à la fenêtre, adapte avec une beauté rare, la biographie la plus vendue de tous les temps… Celle de Tetsuko Kuroyanagi, a.k.a. Totto-chan.
Récit bouleversant d’une enfant ayant vécu son quotidien sous la Seconde Guerre mondiale ; produit par Shin-Ei Animation, focus sur ce long-métrage sincère et authentique qui a bouleversé le Festival d’Annecy.
Mais qui est donc Totto-chan ?
Avant de foncer tête baissée sur le film de Shinnosuke Yakuwa, un peu d’histoire. Tetsuko Kuroyanagi, plus connue sous le surnom de Totto-chan, est née en 1933 à Tokyo. Elle est mondialement connue grâce à sa biographie, Totto-chan, la petite fille à la fenêtre (parue en 1981), qui raconte sa jeunesse et l’évolution de son quotidien, durant le début de la Seconde Guerre mondiale lorsque le Japon entre en guerre contre les États-Unis. Mais c’est en 1953 que sa carrière commence, lorsqu’elle intègre la chaîne publique NHK, en rejoignant la troupe de la chaîne. Petit à petit, elle monte les échelons pour ainsi, entamer sa propre émission en 1976 : Le salon de Tetsuko sur TV Asahi. Une émission qu’elle anime encore aujourd’hui, après plus de quarante ans d’antenne.
De par sa jeunesse, Tetsuko Kuroyanagi s’intéresse également de très près à la protection de l’enfance. C’est en 1984 qu’elle devient ambassadrice itinérante de l’UNICEF. La même année, Totto-chan devient aussi conseillère auprès du World Wide Fund for Nature et directrice adjointe de l’orchestre philharmonique de Tokyo. Enfin, elle crée la fondation Totto qui forme des acteurs malentendants. Et c’est en 2015 que Tetsuko Kuroyanagi reçoit le prix de la personnalité de mérite culturel au Japon ; cette distinction, co-célébrée par l’Ordre de la Culture japonaise, a pour but de récompenser les personnes qui ont apporté des contributions remarquables dans le domaine culturel. Tetsuko Kuroyanagi est ainsi une femme qui a toujours (et encore aujourd’hui) œuvré pour le bien de la culture, des enfants et des plus démunis !
Tetsuko Kuroyanagi (Photo du Yomiuri Shinbun)
Il était une fois… Totto-chan
À travers le long-métrage de Shinnosuke Yakuwa, nous suivons la jeunesse de Totto-chan dans le Tokyo paisible du début des années 1940. Dès les premières minutes, nous nous retrouvons face à une petite fille particulièrement énergique et attachante. Le film, que nous pouvons couper en deux parties, nous introduit d’ores et déjà la problématique initiale : le changement d’école de la jeune fille, qui ne trouve, malgré elle, pas sa place dans le système scolaire classique. C’est alors que sa mère, Cho Kuroyanagi, lui trouve une place dans l’école Tomoe. Un établissement différent des autres, notamment grâce à ses wagons de train en guise de salles de classe et à son directeur, M. Kobayashi, qui met l’accent sur une éducation favorisant la création et l’imagination.
Dans cette première partie du récit, scruté de loin par les quelques informations radio (volontairement de fond) sur la guerre en occident, nous regardons Totto-chan se lier d’amitié avec ses nombreux camarades, et plus particulièrement avec Yasuaki, un enfant atteint de la polio. Cette première partie se concentre alors sur les nombreuses scènes du quotidien de la vie de Totto-chan, évoluant dans un univers chaleureux, des nouveaux amis et une famille aimante et confortablement installée. Très colorée, on ressent ainsi l’ambiance de cette capsule temporelle à la fois bienveillante, émouvante et très drôle, où l’on se laisse porter par l’imaginaire et les bêtises de Totto-chan.
Abordant des thèmes tels que l’égalité des êtres, le courage d’aller de l’avant et de s’accepter tel que l’on est ou encore la beauté de l’amitié et l’amour familial… Cette première partie respire les temps heureux d’un Japon d’avant-guerre à hauteur d’une enfant enjouée et toujours optimiste.
L’histoire d’un quotidien pendant la guerre
Petit à petit, à travers une accumulation de petits changements, le film prend une tournure beaucoup plus sombre : l’entrée en guerre du Japon. De l’interdiction d’utiliser l’anglicisme, les recommandations d’éviter les tenues occidentales ou encore le rationnement de la nourriture… Nous assistons à un changement radical dans le ton et l’ambiance globale du film. Et ce n’est pas sans conséquences, radicalement visibles dans le comportement sobre de Totto-chan, sa famille ou encore ses camarades, face au quotidien imposé par la guerre. Démontrant ainsi que derrière l’horreur explicite de la guerre, il y a également l’horreur implicite : les sacrifices du peuple et la destruction de leur quotidien ou pire, de leur vie.
Dans son ensemble, bien qu’un peu long à démarrer, Totto-chan, la petite fille à la fenêtre, est un récit formidable, à hauteur d’enfant, et dont les moins jeunes spectateurs comprendront toutes les subtilités. Doux, délicat et porté par un florilège de personnages attachants à l’image du directeur Kobayashi et son amour pour les enfants, ou encore de Yasuaki qui, grâce à Totto-chan, a pu se dépasser et profiter de sa jeunesse. De la première à la dernière seconde, on se laisse aisément porter par cette histoire et on en ressort profondément bouleversé.
Shinnosuke Yakuwa signe une adaptation réussie
Définitivement, cette adaptation de la biographie de Tetsuko Kuroyanagi est un bijou. Bien que le film aurait gagné à explorer davantage son arc final, il n’en reste pas moins un film d’une immense beauté, porté par une réalisation globalement réussie. Le film est rythmé comme il faut, bien que la première partie aurait gagné à avoir un petit coup de boost. On apprécie la beauté de l’animation des équipes de Shin-ei Animation (Sweetness & Lightning, Doraemon…), mais surtout la direction artistique de Tatsuya Kushida (Rebuild of Evangelion) et les couleurs de Sanae Matsutani (films Doraemon) accompagnent et illustrent à merveille ce récit à hauteur d’enfant. Bien sûr, bien qu’on puisse être dérouté par le chara design de Shizue Kaneko (Adachi and Shimamura), il n’en reste pas moins tout aussi bien adapté pour représenter la jeunesse de l’époque.
Du côté de la musique, Yuji Nomi (Si tu tends l’oreille, Nichijou – My Ordinary Life…) nous offre une bande originale sublime. Chacun de ses morceaux accompagne et porte avec brio les éléments clés de l’intrigue. On pense notamment aux séquences fortes, comme le voyage en train de Totto-chan ou encore l’exceptionnelle séquence finale où la jeune fille prend conscience que plus rien ne sera jamais comme avant. Une séquence qui hante encore bien après le visionnage.
Avec Totto-chan, la petite fille à la fenêtre, Shinnosuke Yakuwa signe le bijou de ce début d’année. Touchant, drôle et terriblement juste, le cinéaste adapte avec brio la délicate biographie éponyme de Tetsuko Kuroyanagi. En passant du rire aux larmes, nous ressortons ainsi de cette œuvre complètement bouleversés, tant nous explorons toutes les émotions possibles à travers le récit humaniste, néanmoins doux-amer, de Totto-chan.
TITRE ORIGINAL : Madogiwa no Totto-chan (窓ぎわのトットちゃん)
GENRE : Drame, biopic
TECHNIQUE : Animation 2D
DURÉE : 1h54
PAYS : Japon
DATE DE SORTIE FR : 1ᵉʳ janvier 2025
RÉALISATION : Shinnosuke Yakuwa
SCÉNARIO : Shinnosuke Yakuwa et Yosuke Suzuki
D’APRÈS L’ŒUVRE ORIGINALE DE : Tetsuko Kuroyanagi
AVEC : Liliana Ôno, Koji Yakusho et Shun Oguri
PRODUCTION : Shin-ei Animation Co., Ltd
DISTRIBUTEUR FR : Eurozoom
©Tetsuko Kuroyanagi / 2023 Totto-chan the Movie: The Little Girl at the Window Committee